Les Bandits
organisées et plus méthodiques, mais il attribue cela au fait que
les bandits étaient privés « d’une assise de classe unifiée » [199] .
En réalité, il n’y a guère matière à dispute. Il va de soi
que le banditisme est un phénomène social qui diminue à mesure que de
meilleures stratégies de lutte agrarienne deviennent disponibles. Je l’ai dit
pendant quarante ans. Il est également plausible que l’attraction que ce
phénomène exerce ne s’épuise pas, même dans une société aussi capitaliste que
les États-Unis, à condition que la légende du bandit social fasse partie de la
culture populaire. C’est le cas des États-Unis dans les années 1930. « Les
premiers hors-la-loi des années 1930, écrit Seretan, étaient conscients d’appartenir
à une tradition : ils étaient élevés dans cette tradition et elle les
influençait en retour ; ils s’y conformaient en gestes et en paroles ;
et elle définissait, en dernière instance, la trajectoire de leurs carrières
aussi brèves que spectaculaires. » Dans l’esprit d’un Alvin Karpis, d’une
Bonnie Parker ou d’un Clyde Barrow, Robin des Bois et Jesse James étaient
toujours vivants, et sillonnaient les plaines au volant d’automobiles.
Mais tout cela ne change rien au fait que, dans une société
capitaliste pleinement développée, les conditions dans lesquelles le banditisme
social hérité du passé peut survivre ou renaître demeurent exceptionnelles. Elles
resteront exceptionnelles, même si les opportunités de brigandage sont devenues
beaucoup plus fréquentes qu’au cours des siècles passés, dans un millénaire qui
débute avec l’affaiblissement, voire la désintégration du pouvoir de l’État
moderne, et la capacité généralisée des groupes de combattants irréguliers de
se procurer des moyens de destruction portables mais dévastateurs. À toutes
fins pratiques, Robin des Bois a désormais déserté les pays les plus « développés »,
ce qui ne surprendra personne. L’analyse que je livrais dans mon ouvrage
cherchait à expliquer la fin de ce phénomène ancestral et largement répandu, plutôt
qu’elle ne visait à définir les conditions sous lesquelles sa renaissance ou sa
survie devenaient ponctuellement possibles.
Il convient néanmoins de dire quelques mots au sujet de la
survie et de la transformation du banditisme social dans les sociétés de
capitalisme rural développé.
II
La transition vers une agriculture capitaliste est un
processus lent et complexe. Dans la mesure où cette agriculture reste le fait
de familles de fermiers qui, si l’on excepte la technologie qu’ils emploient, ne
sont pas foncièrement différents des paysans dont la plupart d’entre eux sont
les descendants, on assiste à de nombreux effets de continuité – pour le moins
au niveau culturel – entre l’ancien monde rural et le nouveau. Y compris
lorsque ce nouveau monde se situe au-delà des océans. Après tout, l’exploitation
agricole reste une entreprise de petite échelle comparée aux opérations de l’industrie
et de la finance, notamment si l’on considère les effectifs de main-d’œuvre
employés par chaque unité. Par ailleurs, l’hostilité tenace dont les campagnes
font preuve à l’égard des villes, et leurs habitants à l’égard des étrangers, persiste
visiblement sous la forme de conflits entre les intérêts des fermiers en tant
que groupe économique et ceux du reste de la population, comme en témoignent
aujourd’hui les problèmes de la Communauté économique européenne. Dans les
campagnes, les progrès de l’économie capitaliste ont ainsi permis une certaine « modernisation »
du banditisme social, même si on peut débattre de la durée de ce phénomène.
Cette économie a fait émerger de nouveaux objets
susceptibles de cristalliser le mécontentement populaire (y compris celui des
fermiers capitalistes), et par conséquent de nouveaux « ennemis du peuple »
contre lesquels les bandits peuvent faire valoir la cause de ce dernier. Les
sociétés rurales du Brésil et des États-Unis ne partageaient pas l’enthousiasme
des villes pour les chemins de fer, en partie parce qu’elles voulaient tenir à
l’écart le gouvernement et les étrangers, et en partie aussi parce qu’elles
considéraient que les compagnies de chemin de fer pratiquaient l’exploitation. Les
cangaçeiros
brésiliens s’opposaient
à la construction des voies, tandis que le gouverneur du
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