Les Bandits
symbolique quelques membres noirs, hispaniques ou
prolétaires –, la majorité de leurs membres était issue d’un milieu social
entièrement différent. Il s’agissait des fils et des filles des classes
moyennes (quelle qu’ait été leur incarnation locale) et souvent des classes
aisées, bien que ce ne fût pas véritablement le cas pour l’ALS. En Argentine, les
institutions qui furent décimées par le terrorisme auquel eurent recours les
militaires afin de détruire les poches d’insurrection armée étaient les
dernières classes des lycées de l’élite. De tels activistes choisissaient
librement l’illégalité. Le plus qu’on puisse en dire est qu’au cours des années
1960 et 1970, pour des raisons qui n’ont pas à être discutées ici, ce libre choix
était plus fréquemment le fait des fils et des filles des classes moyennes et
de l’élite. Ils n’étaient pas plus contraints de faire ce choix que le jeune
Friedrich Engels ne l’était de devenir communiste.
Encore une fois, qu’ils soient de nature professionnelle ou « politique »,
les agissements du bandit social font partie du tissu social auquel il
appartient et, dans une certaine mesure, ils en sont aussi la conséquence
logique. Ce livre a été en grande partie consacré à en apporter la
démonstration. Comme je l’ai montré, les bandits sont tellement imbriqués dans
ce tissu qu’ils ne sauraient en réalité être des révolutionnaires, bien qu’ils
soient susceptibles de le devenir dans certaines circonstances. Leurs actions
peuvent bien avoir valeur de symbole, mais elles ne sont pas dirigées contre
des symboles, mais contre des cibles spécifiques et, en quelque sorte, organiques :
non pas le « système », mais le shérif de Nottingham. Il arrive que
certaines opérations, notamment celles qui sont menées par les groupes
terroristes les plus sophistiqués et les plus habiles politiquement, visent des
cibles spécifiques et escomptent des résultats spécifiques, comme dans le cas
de l’assassinat de Carrero Blanco par l’ETA basque ou celui de l’enlèvement et
du meurtre d’Aldo Moro par les Brigades rouges italiennes. Dans ces cas de
figure, la sophistication des calculs politiques sur lesquels reposent ces
opérations, qui implique notamment un degré d’information très élevé sur la
situation politique aux plus hauts échelons du pouvoir national, place leurs
organisateurs en dehors de la sphère qui constitue l’environnement du
banditisme social, ancien ou nouveau [208] .
Mais, d’un autre côté, les listes de victimes potentielles
que l’on a pu retrouver dans les documents des néo-Robins des Bois capturés par
la police (comme les membres de l’ALS) sont la plupart du temps arbitraires. Sauf
lorsqu’elles prolongent un cycle de représailles entre policiers et voleurs, elles
visent essentiellement à défendre, protéger et libérer les camarades arrêtés et
emprisonnés – activités qui, pour des raisons psychologiques, tendent à
monopoliser les activités de tels groupes. Rapidement, elles n’entretiennent
plus qu’une relation indirecte avec les objectifs politiques manifestes du
groupe. En dehors de ces cas de figure, les victimes pressenties peuvent
aisément être remplacées par d’autres, dans la mesure où elles sont
essentiellement des symboles du « système » : un autre banquier
peut prendre la place de Ponto, un autre entrepreneur celle de Schleyer, tous
deux victimes de la « Fraction Armée rouge ». Par ailleurs, dans les
cas hautement symboliques de ce genre, aucune conséquence politique précise n’est
attendue, si ce n’est l’affirmation publique de la présence et du pouvoir des
révolutionnaires et de leur cause.
À ce stade, on peut relever une similitude entre les bandits
d’autrefois et les activistes d’aujourd’hui, bien qu’elle accentue la
différence fondamentale entre les contextes sociaux auxquels ils appartiennent.
Dans un cas comme dans l’autre, le « mythe » est un des principaux
objets sur lesquels se concentrent leurs actions. Pour le bandit traditionnel, il
constitue une gratification en soi, tandis que pour les néobandits, sa valeur
tient aux conséquences supposées en termes de propagande. En tout état de cause,
en vertu de la nature de ces groupes clandestins, il ne peut s’agir que d’un
mythe collectif, les individus restant d’ordinaire anonymes [209] . Toutefois, dans
les deux cas, ce que l’on appelle
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