Les Bandits
qu’elles visent des cibles que le grand public considère comme des « ennemis
du peuple », même si c’est souvent à partir de ce raisonnement qu’elles
sont choisies par les militants. Le nom de William Randolph Hearst, que l’ALS
prit pour cible, arrache peut-être encore un « frisson » aux
représentants d’une génération vieillissante de radicaux américains ou à
quelques intellectuels cinéphiles, mais le fait que Ponto était un grand
banquier et Schleyer un porte-parole du capital industriel n’a certainement
valu aucune sympathie à la Fraction Armée rouge en Allemagne de l’Ouest, excepté
parmi les cercles très restreints qui étaient déjà acquis à la cause de la
lutte armée. Les attaques contre la police peuvent peut-être susciter un tel
effet. Mais on peut tout aussi bien faire la une en s’en prenant à des
personnes tout à fait neutres ou sans rapport avec le conflit en question – les
athlètes des jeux Olympiques de Munich en 1972, ou les clients de pubs anglais
tués par les bombes de l’IRA – ou à des individus qui, même s’ils constituent
des cibles valides du point de vue des critères ésotériques retenus par le
groupe (par exemple des informateurs de la police), restent de simples inconnus
aux yeux du grand public. Et, dans la mesure où les cibles réelles deviennent
ainsi les victimes collatérales et arbitraires d’une guerre menée par d’autres,
les similitudes entre le « banditisme social » d’antan et celui d’aujourd’hui
tendent à s’atténuer. Tout ce qu’il en reste est le fait que de petits groupes
de hors-la-loi anonymes, qui ne sont connus que par des titres abstraits ou des
sigles dépourvus de sens, défient les structures officielles du pouvoir et de
la loi [211] .
Mon propos ici n’a nullement pour but de juger de l’efficacité
politique ou des justifications théoriques ou autres de la lutte armée, qui
connaît aujourd’hui un certain regain au niveau des individus ou des petites
formations. Mon objectif consiste simplement à observer les similitudes et les
différences entre ces groupes et les « bandits sociaux », ainsi que
les relations que les premiers entretiennent avec la tradition, l’héritage et
le mode d’action des seconds. Cette relation existe, même si seuls un ou deux
groupes de ce genre, en général ceux qui sont le plus éloignés des idéologies, des
stratégies et des formes d’organisations révolutionnaires les plus orthodoxes (à
l’exception des néoanarchistes), affichent de façon marquée certaines
caractéristiques du néoprimitivisme [212] .
Mais dans le cadre de cette étude du banditisme social classique, cette
relation reste marginale, peut-être même tangentielle. C’est à ceux qui
étudient la société capitaliste de la fin du XX e siècle
qu’il revient d’explorer ces phénomènes. D’autre part, le prolongement
direct
de la mythologie et des
traditions du banditisme social classique dans le monde industriel moderne fait
partie de l’objet de cet ouvrage.
D’une certaine façon, le banditisme est toujours présent. À
la fin des années 1970, un activiste mexicain, lecteur enthousiaste de mon
livre
Les Primitifs de la révolte
[213] , dont le
chapitre sur le banditisme est à l’origine du présent ouvrage, encouragea les
militants d’un mouvement paysan du nord-est du pays à lire ce livre. Je ne me
laisserai pas aller à spéculer sur les intentions qui étaient les siennes. Les
militants du Campamiento Tierra y Libertad trouvèrent que le livre était
difficile, ce qui n’est peut-être guère surprenant. Ils n’y comprenaient pas
grand-chose, et ils ne voyaient pas à quoi ce qu’ils lisaient pouvait servir. Mais
il y avait une section du livre qui leur était intelligible et qu’ils
comprenaient : celle qui portait sur les bandits sociaux. Je mentionne ce
tribut venu d’un public inattendu et que je n’avais pas cherché à atteindre non
seulement parce qu’il s’agit d’une expérience gratifiante pour un auteur, mais
aussi parce qu’on peut considérer les habitants de la région de Huasteca
Potosina comme un groupe de critiques qualifiés, compétents et sans aucun doute
expérimentés en la matière par le passé. Ce qui ne prouve pas que l’analyse
développée dans
Bandits
soit
juste. Mais cela peut contribuer à convaincre les lecteurs que cet ouvrage est
plus qu’un simple exercice de spéculation universitaire ou de curiosité
antiquaire.
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