Les Bandits
aujourd’hui la « publicité » est un
enjeu fondamental : sans elle, les bandits ou les groupes clandestins n’auraient
aucune existence publique. L’émergence des
mass
media
a fondamentalement bouleversé la nature de cette existence. Les
bandits de la tradition établissaient leur réputation à travers un contact
direct avec leur public et le bouche à oreille d’une société orale. Ils ne
firent leur entrée dans l’équivalent primitif des
mass media
– les ballades, les romans populaires, et
autres productions de ce genre – qu’après avoir fait leur réputation. Parmi
ceux qui dont il est question dans ce livre, certains n’ont jamais accompli le
passage de la réputation construite sur le face-à-face et la transmission orale
à une mythologie plus générale : tel est par exemple le cas de Maté Cosido
dans le Chaco argentin, pour autant que l’on puisse en juger. L’histoire du
banditisme social comporte un stade tardif qui voit les premiers
mass media
s’emparer du mythe et en
assurer la diffusion : ainsi probablement dans l’Australie de Ned Kelly, les
États-Unis de Jesse James, peut-être encore dans la Sardaigne du XX e siècle (bien que, malgré leur penchant pour la
publicité, les bandits célèbres de l’île, comme Pasquale Tanteddu, jouissaient
d’une réputation qui n’était relayée en dehors de la région que par des intellectuels),
et certainement à l’époque de Bonnie et Clyde. Quoi qu’il en soit, la célébrité
médiatique resta en général un bonus qui s’ajoutait à la juste récompense d’une
réputation de bandit.
Les médias sont aujourd’hui la principale source du mythe, voire
la seule. Ils sont aussi en mesure de donner aux événements une visibilité
instantanée et, dans certaines circonstances, planétaire, sans équivalent par
le passé. (Dans un monde non médiatique, Warhol n’aurait pu formuler son utopie
d’un moment de « célébrité » pour chaque citoyen.) Le mythe créé par
les médias présente peut-être le désavantage d’être intrinsèquement transitoire,
dans la mesure où il est la création d’une économie qui traite de la même façon
les âmes et les cannettes de bière jetables, mais ce désavantage peut être
compensé par la répétition des actes qui assurent l’exposition médiatique. À
cet égard, le bandit traditionnel est une tortue susceptible de l’emporter sur
le lièvre électrifié de ses successeurs. Personne ne se pose la question de
savoir ce qui est arrivé à Jesse James. Et nombreux sont aujourd’hui ceux à qui
il faut rappeler qui était Patty Hearst. Il n’en reste pas moins que l’Armée de
libération symbionaise a construit sa réputation de façon fulgurante et à si
grande échelle qu’elle a dépassé, pendant sa brève carrière, celle dont
jouissait Jesse James de son vivant.
L’image et l’efficacité politique des néo-Robin des Bois se
construisent par conséquent non pas à travers leurs actions elles-mêmes, mais à
travers leur capacité à faire les gros titres, et c’est essentiellement en vue
d’atteindre cet objectif qu’ils planifient celles-ci. D’où le paradoxe qui veut
que certains actes, qui auraient contribué à renforcer le mythe entourant les
bandits d’antan, sont précisément ceux que leurs successeurs préfèrent ne pas
rendre publics car ils fausseraient leur image (par exemple en faisant d’eux
des criminels plutôt que des militants politiques). La majorité des enlèvements
avec demande de rançon et des attaques de banques grâce auxquels les activistes
accumulent les fonds souvent très importants que nécessitent des opérations qui,
dans les circonstances actuelles, sont souvent très onéreuses, restent très
certainement anonymes et se laissent difficilement distinguer des autres vols
ou enlèvements professionnels, malgré la valeur publicitaire que peuvent avoir
les attaques portées contre les riches [210] .
Ces groupes font rarement de la publicité autour des « expropriations »,
sauf lorsqu’il s’agit de passer un message politique précis – par exemple en
mettant au jour les agissements véreux d’importants titulaires de comptes. (En
Uruguay, les Tupamaros étaient particulièrement habiles lorsqu’il s’agissait de
« politiser » les attaques de banques, en détournant ainsi l’attention
de l’objectif principal, qui restait le vol.)
À l’inverse, l’impact symbolique de ces actions ne vient pas
du fait
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