Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale

gratifiant. Les messages interceptés étaient d’une valeur inestimable. Il s’agissait de communications de Berlin à destination de l’Italie et des divisions allemandes situées sur le front de l’Est. Le capitaine Jerry Roberts se souvient d’une journée hors du commun où il prit conscience qu’ils étaient parvenus à pénétrer très loin au sein du haut commandement allemand : « Les destinataires et expéditeurs étaient indiqués au début des messages. Vous aviez donc le général Untel qui s’adressait au QG de l’armée de terre à Berlin. La plupart émanaient d’un général. Certains étaient signés Hitler. Je me souviens avoir déchiffré au moins un message dans lequel il signait simplement : “Adolf Hitler, Führer”. »
    Les brillants esprits à l’origine de Colossus ne se heurtaient pas tant à des problèmes de savoir qu’à des difficultés mécaniques. Il était loin d’être évident de synchroniser les bandes des télescripteurs. La machine mettait également à rude épreuve les valves électroniques, qui lâchaient sans cesse. Mais les nombreuses discussions de haute volée se déroulant à trois, entre le professeur Newman, Alan Turing et Tommy Flowers, portaient en gros sur la faisabilité du tout premier ordinateur.
    Pour être précis, ils appelaient cela une « machine à valves électroniques ». Elle représentait une avancée par rapport à la Heath Robinson car, au lieu de s’appuyer sur deux bandes devant être parfaitement synchrones, elle n’en présentait qu’une seule. Flowers procéda également à d’autres modifications, telles que le remplacement de l’entraînement par pignons par des roues de friction. Il était indubitablement à l’origine de cette prouesse en matière d’ingénierie et de l’invention d’un modèle théorique. Si cette machine extraordinaire reflétait à la base toute la logique de Turing, Flowers parvint avec ingéniosité à améliorer le système de valves électroniques, s’assurant qu’elles ne soient jamais éteintes une fois en service, ce qui renforçait considérablement leur fiabilité. En outre, l’engin pouvait lire 5 000 caractères à la seconde, ce qui était cinq fois plus rapide que la Heath Robinson. Flowers et son équipe du département de recherche de la poste la conçurent et la construisirent en l’espace de dix mois.
    La première machine Colossus fut testée le 25 novembre 1943. Début 1944, cette machine et celles du même genre étaient extrêmement précieuses pour Bletchley.
    Parmi les personnes à avoir exploité Colossus figure Harry Fensom :
     
    Les machines Colossus étaient bien entendu énormes, d’où leur nom, et dégageaient beaucoup de chaleur, dont une partie était évacuée par des conduits situés au-dessus. Mais nous appréciions ce détail par les froides nuits d’hiver, surtout vers 2 ou 3 heures du matin. Lorsqu’il pleuvait et que je rentrais à l’intérieur, j’accrochais mon imperméable sur une chaise que je plaçais devant les centaines de valves des rotors. Il séchait très vite.
    Il était bien entendu impératif de ne jamais éteindre les machines, aussi bien pour éviter d’endommager les valves que pour veiller à ne pas perdre de temps dans les opérations de cryptanalyse. Il y avait donc un générateur de secours dans le réduit voisin qui prenait automatiquement le relais en cas de panne de courant.
     
    Ces machines avaient quelque chose de l’équipement que l’on retrouve dans le laboratoire du scientifique fou, pas seulement à cause de la bande de messages extraordinairement longue qu’il fallait soigneusement monter, mais également à cause du danger électrique permanent.
    À l’époque, toute l’implication de Tommy Flowers dans son travail n’était pas appréciée à sa juste valeur. Le capitaine Jerry Roberts a toujours le sentiment que Flowers n’a pas bénéficié de toute la reconnaissance qu’il méritait. S’il a été discrètement fait membre de l’ordre de l’Empire britannique après la guerre (et a reçu un prix des inventeurs, sous la forme d’une récompense de 1 000 livres), le capitaine Roberts estime qu’un homme aussi talentueux et ayant réalisé tant de choses méritait une bien plus grande attention.
    Mais le travail de Flowers était associé à d’autres éléments, à savoir le scepticisme et l’hostilité occasionnelle de Gordon Welchman.
    Thomas Flowers est né en 1905 à East Ham, cœur