Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
jours. On venait tout juste de l’élever au rang de CMG. On avait expliqué à ma mère que, pour des raisons de sécurité, on ne pouvait lui rendre d’autre honneur. Bien trop malade pour se rendre à Londres, il estimait cependant qu’il était de son devoir de recevoir correctement cette distinction. Il insista pour qu’on l’habille et le place sur une chaise. Il attendait frissonnant devant le feu l’arrivée de l’émissaire du Palais. Il nageait dans des vêtements bien trop grands pour lui désormais, avait les yeux enfoncés et le teint gris. Mais il s’en tira parfaitement bien. « Rien n’est impossible », dit-il.
Une fois cet honneur rendu, Knox écrivit, en janvier 1943, une lettre à ses collègues du Cottage qui démarrait ainsi, avec beaucoup d’émotion, rappelant la nature profonde de l’esprit de Bletchley Park :
Chers Margaret, Mavis, Peter, Rachel, etc.
Mille mercis pour vos adorables messages de félicitations, ainsi que ceux de toute la Section. Je me dois de vous les retourner car une telle distinction dépend entièrement du soutien des collègues et adjoints du chef de Section. Avant de poursuivre, puis-je me permettre de vous demander de leur […]
Il poursuivait ensuite en lançant quelques piques sur l’attitude d’Alistair Denniston vis-à-vis de la cryptanalyse et des casseurs de codes et sur la façon dont, à ses yeux, des messages à peine analysés étaient transmis aux membres des services de renseignement. Knox avait en fait du mal à supporter, tant intellectuellement qu’émotionnellement, que Bletchley Park soit passé d’une brillante opération artisanale à une entreprise inflexible et professionnelle :
Nous avons récemment recruté au sein d’universités […] Et la tradition universitaire ne comprend pas le principe selon lequel, si un savant obtient un résultat en demi-teinte, il faut confier la mission à quelqu’un d’autre. Le découvreur perd son enthousiasme pour réaliser de futures découvertes et le bénéficiaire n’a aucun intérêt à ce qu’un autre cerveau fasse son apparition. Jusqu’à ce que nous sachions qui se chargera du traitement et de la diffusion des résultats obtenus, l’ aurum irrepertum de nos recherches sera probablement sic melius situm 42 …
En faisant mes adieux et rompant la continuité, sans pour autant, je l’espère, mettre fin aux traditions du Cottage, je remercie encore une fois la Section pour sa loyauté à toute épreuve. Affectueusement, Dilly.
Il s’agissait d’un honneur rendu à Bletchley, dans la mesure où Knox avait le sentiment que cette récompense constituait aussi bien la reconnaissance des travaux du département que la sienne ; une façon singulière de craquer les codes, voire anachronique pour certains, mais de plus en plus en vogue à Bletchley. Cette approche suscitait néanmoins l’admiration.
« Il avait le chic pour débusquer les anomalies, dit sa collègue Mavis Batey, et puisque les scribes faisaient des erreurs lorsqu’ils recopiaient les textes grecs, Dilly chassait toujours ce genre de détail dans les codes. Il fut le premier à extrapoler et à se pencher sérieusement sur les erreurs de procédure commises par les opérateurs. »
Mme Batey se souvient avec une tendresse particulière de la façon dont, même dans les premiers temps du Cottage, les excentricités de Knox avaient éclaté au grand jour. Il trouvait le moyen, par inadvertance, d’essayer de sortir de la salle en passant par la porte du placard. Il rendait visite aux opérateurs de cartes perforées en robe de chambre, même en plein cœur de l’hiver. Son amour pour les bains chauds n’a jamais faibli. Privilège rare en ces temps difficiles, il mettait dans son café du vrai lait qui provenait des pis d’une vache serviable du coin.
Et quand tous ces changements sont intervenus à Bletchley Park, et pas seulement le renvoi courtois d’Alistair Denniston, mais également les systèmes mécanisés employés pour craquer l’Enigma, Knox se montra extrêmement vigilant et afficha même parfois un violent mépris. Mais ce n’était pas un luddite 43 . Selon Penelope Fitzgerald, Knox aimait bien Alan Turing, qui n’avait absolument pas maîtrisé ses comportements à la limite du syndrome d’Asperger parce qu’il était à Bletchley. Dans Breaking the Code , le dramaturge Hugh Whitemore rajoute une couche en laissant entendre que Knox, à l’instar de
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