Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
peut-être que tous les endroits ressembleraient à Bletchley Park.
J’avais l’habitude de dire : « J’ai l’impression d’être dans un monde complètement différent ». Dans le Telegraph , j’ai vu une offre d’emploi pour BOAC [la British Overseas Airways Corporation, précurseur de British Airways]. J’ai postulé, puis j’ai décroché le poste. J’y suis restée de 1947 à 1953 environ.
Deux des casseurs de codes furent gagnés, consciemment ou non, par le désir de contribuer à la reconstruction de la nation et de ses colonies restantes. Keith Batey se souvient :
« J’ai quitté Bletchley Park en août 1945. J’ai alors décidé, je dirais à tort avec le recul, mais cela me paraissait la chose à faire à l’époque, de quitter l’univers des mathématiques. J’ai tenté ma chance dans la fonction publique, en optant pour le Dominions Office 52 .
Je suis resté six mois au ministère des Affaires étrangères, au sein du département de l’Amérique du Sud, dans l’attente de passer l’examen de la fonction publique. Je travaillais avec Victor Perone, qui avait achevé une très brillante carrière au Vatican en tant que représentant du gouvernement britannique. C’était un gentleman typiquement de l’époque d’Édouard VII, très corpulent, avec une grande chaîne en or autour du cou. Celui que j’aimais beaucoup, moi l’homme à tout faire, c’était le président de la Bank of London and South America, Samuel Hoare, le type le plus poli, attentionné et charmant qu’il m’ait été donné de rencontrer. »
L’aristocratie semblait déjà perdre rapidement de son influence. Hoare était perplexe devant les origines de cette nouvelle recrue du ministère des Affaires étrangères. Avant la guerre, nombre des personnes travaillant au ministère étaient très souvent issues de grandes familles titrées, avec des revenus privés substantiels sur lesquels ils étaient censés vivre. Ce n’était pas le cas de Keith Batey.
« Samuel Hoare n’en revenait pas, poursuit M. Batey. Il n’arrivait pas à comprendre comment quelqu’un dont il ne connaissait pas le nom pouvait se trouver au ministère des Affaires étrangères. Il m’appelait M. Beety. » Mais c’était M. Batey qui représentait l’avenir, pas Sir Samuel Hoare. M. Batey et les gens de sa génération contribuaient à bâtir une nouvelle ère de la fonction publique au sein de laquelle le carnet d’adresses n’était pas l’élément le plus important.
Pour Oliver Lawn, l’administration semblait également être un parcours de carrière logique.
En septembre 1945, j’ai passé un trimestre dingue à donner des cours de mathématiques à l’université de Reading. À l’époque, après cinq ans passés à casser des codes, j’avais plus ou moins oublié mes connaissances en maths.
J’ai ensuite passé les examens de la fonction publique, au printemps 1946. J’avais le choix entre l’administration et les sciences, car j’avais réussi les deux examens. Mais j’ai penché pour l’administration plutôt que pour la spécialisation en mathématiques. Je suis entré dans la fonction publique vers juillet 1946.
M. Lawn dit qu’il a été « orienté », comme tout le monde après la guerre. N’importe quel emploi lui semblait certes fade et ennuyeux après la vie trépidante qu’il avait eue, mais c’était la voie à emprunter pour un jeune homme de son éducation et origine. La Grande-Bretagne était en piteux état, en ruine, en faillite, divisée et avait donc perdu tout son éclat. Il fallait des experts de l’administration intelligents. Pas des politiciens, mais des hommes connaissant vraiment les rouages. C’est la génération de M. Lawn qui devait exercer une véritable influence en Grande-Bretagne dans les années suivantes, et ce, dans tous les domaines, de la reconstruction des villes au démantèlement de l’Empire.
Pour les femmes qui allaient épouser ces hommes, nous vivions encore une époque où la gente féminine n’était pas censée travailler, même si sa mobilisation avait été massive tout au long de la guerre. Lorsqu’une femme tombait enceinte, c’était automatiquement la fin de sa carrière. Son destin était d’être mère et femme d’intérieur.
Ceci dit, il aurait été absurde que les femmes de Bletchley Park laissent leur intellect en sommeil. Pour Sheila MacKenzie et Mavis Lever, ce ne fut absolument pas le cas, et
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