Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
heureusement.
Sheila poursuivit dans le domaine universitaire. Cependant, son projet original d’enseigner sur le continent restait extrêmement incertain. À quoi allait maintenant ressembler ce continent ? Quelle proportion de ce dernier allait être absorbée par ce poids lourd qu’était l’Union soviétique ? La guerre bouleversa géographiquement les projets de Sheila. Elle dut s’en tenir à des perspectives britanniques.
« J’ai fait ce qui est courant en Écosse, une licence générale, dit Mme Lawn. Vu mon parcours, il m’a fallu travailler dur pendant l’année. Puis j’ai passé un an à l’université de Birmingham, pour passer un diplôme de sociologie. Ensuite, j’ai bifurqué vers la gestion des ressources humaines. Un changement radical. Il n’était toujours pas simple d’aller à l’étranger. »
Elle et M. Lawn vécurent de plein fouet l’austérité qui frappa la Grande-Bretagne lors des deux premiers hivers après l’expérience du Park. C’est l’une de ces périodes qui est aujourd’hui presque aussi difficile à imaginer que la guerre proprement dite. Sheila témoigne : « Quel froid ! Il y avait très peu de fuel et d’eau chaude. C’était même pire que pendant la guerre. Tout était rationné, même les pommes de terre et le pain. Et je crois que les vêtements ont continué d’être rationnés jusqu’en 1952. Quand nous nous sommes mariés, avec Oliver, nous n’avions rien comme meubles. Mais une grand-tante d’Oliver est décédée et nous avons récupéré quelques jolis meubles. Une chambre et une salle de séjour. »
La façon dont Sheila et Oliver ont dû rogner sur tout pour le jour de leur mariage est aujourd’hui pratiquement impensable.
Ma mère faisait des ménages et du raccommodage. Elle était très douée. Par exemple, avec deux robes en soie des années 1920 qu’elle avait conservées dans une malle, elle a réussi à en faire trois. Deux pour moi et une pour elle. Elle a repris certaines de ses robes, pour elle et pour moi. Et je me suis mariée en portant des vêtements empruntés, tout s’est très bien passé.
J’avais un joli voile qui appartenait à la femme de notre ministre et qu’elle tenait de sa famille. Je suis sortie avec sur le dos des couvertures de l’armée, teintes d’un marron très joli. C’était l’œuvre d’une cousine qui apprenait le métier de tailleur. Avec l’aide de sa patronne, elle m’a confectionné un ensemble, jupe, gilet et manteau. Je l’ai porté pendant des années. Il faisait un tabac. Mes dessous étaient en soie de parachute. De la jolie matière. C’était « du vrai bricolage ! »
Mavis Batey était également persuadée que son avenir était universitaire, même si elle commença par fonder une famille avec son mari Keith. « Nous habitions Oxford, nous sommes revenus à Christ Church et je n’ai vraiment repris une activité intellectuelle qu’une fois mes trois enfants grands. Après, j’allais tous les jours à la Bodleian Library. J’ai donc fini par reprendre mon travail. »
Et qu’en est-il du plus célèbre inventeur et génie ? Pour Alan Turing, qui n’avait que 34 ans à la fin de la guerre, la technologie le rapprochait de plus en plus de la concrétisation de son concept de « machine de Turing ». Mais son homosexualité et l’attitude de l’establishment britannique envers ses penchants devaient précipiter son décès tragique et sans raison d’être.
La transition de la guerre à la paix sembla au départ très peu influencer la vie professionnelle d’Alan Turing. Après son départ du poste de responsable du baraquement 8 et son retour des États-Unis, il se remit à fond dans la recherche. Il allait sans doute avoir beaucoup de mal à s’épanouir en dehors de l’atmosphère hermétiquement confinée de Bletchley dans cet univers de l’après-guerre où le pays affichait un moral fluctuant empreint de paranoïa.
Vers la fin 1944, Turing avait encore des défis cryptologiques à relever et il s’y attela dans l’enceinte de Bletchley Park et dans la base de communication voisine, Hanslope Park. S’inspirant de ce qu’il avait vu aux États-Unis, il travaillait sur un nouveau système de chiffrement du discours, qui devait être baptisé « Dalila » 53 , c’est-à-dire « mystificatrice ».
Il s’agissait d’un dispositif extraordinairement complexe, avec des fréquences de son et des bandes passantes. Selon Andrew
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