Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
comme si le gouvernement attendait que la technologie se développe sur le plan commercial pour trouver un moyen de l’utiliser.
Il se souvient qu’à l’époque il avait changé, « profondément purgé de mon ancien mode de vie universitaire grâce à mes expériences stimulantes à Bletchley Park et aux États-Unis. Il me semblait impossible de reprendre ce que je faisais avant la guerre ». Armé de références en or de la part de Hugh Alexander, Welchman reprit l’ancien poste de directeur de la recherche de son collègue, au John Lewis Partnership. S’il s’agissait d’un très bon poste, on se demande malgré tout si les années qui suivirent immédiatement la fin de la guerre ne furent pas un peu sans saveur. En 1948, Welchman renonça au grand magasin et appareilla avec toute sa famille pour les États-Unis afin de travailler dans le secteur en plein essor de l’informatique. Il entra par la suite au sein de l’organisation MITRE pour s’occuper des systèmes de communication sur les champs de bataille.
Malgré tout, la guerre n’était pas du tout terminée. Elle était devenue froide. La Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Europe occidentale se retrouvaient face à un ennemi tout aussi implacable que le nazisme. Welchman avait rejoint la lutte stratégique contre les forces du Pacte de Varsovie et soviétiques.
Mais, pour d’autres acteurs essentiels de Bletchley Park, la vie dans l’immédiat après-guerre perdit de son éclat. John Herivel, dont l’éclair d’inspiration un soir de 1940 avait eu des répercussions incalculables sur l’effort de guerre, se tourna d’abord vers l’enseignement. Il revint dans son Belfast natal pour entrer dans une école. Mais il jugea très vite les garçons chahuteurs absolument insupportables. Il retrouva donc le monde universitaire et se découvrit, malgré sa formation de mathématicien, une vraie passion pour l’histoire. Il devait d’ailleurs écrire une histoire des Principes de Newton parmi de nombreux autres sujets. « Et je me suis aperçu que je ne pensais pas à Bletchley Park », souligne-t-il.
La coursière et dactylo Mimi Gallilee, très jeune quand elle commença à travailler à Bletchley, trouva la période de l’après Bletchley Park peu enthousiasmante comparativement à ce qu’elle avait vécu. Elle raconte :
« Je pense qu’il restait dans les 1 700 personnes et nous sommes allés à Eastcote, dans le Middlesex, dans des locaux où se trouvaient les bombes et il me semble qu’il n’en restait qu’une. Je ne connaissais rien aux bombes, comme tous les autres. Ceux qui ne les avaient jamais approchées ne savaient rien. Nous avons donc pris nos quartiers là où les Wrens avaient travaillé. Moi, je suis bien sûr restée avec la direction…
À l’époque, c’était le commandant Loehnis qui dirigeait. C’était en 1946. Et il y avait toujours plein de militaires à Bletchley Park. Je pense qu’aucun militaire n’est allé à Eastcote. »
Avec le déplacement à Londres, Mme Gallilee découvrit le goût amer de l’austérité. Même un ticket de métro à la journée pouvait faire un trou dans le budget hebdomadaire. La vie se résumait à des efforts constants pour économiser.
« Je vivais à Bayswater et il me fallait payer plein tarif jusqu’à Eastcote, dit-elle. Avec un salaire si bas, je ne pense pas être restée plus de six mois. Ils ont essayé de faire quelque chose, mais le principe des augmentations n’existait pas et j’aurais dû attendre d’avoir 21 ans. L’administration était très rigide et, à l’époque, il n’existait pas de médaille du mérite. De toute façon, le gouvernement n’aurait pas eu les moyens de nous payer. »
Par conséquent, après le relatif confort, voire le romantisme de Bletchley Park, cette perspective de travail ennuyeux payé une misère commença à la ronger.
Je n’avais pas suffisamment d’argent pour vivre à Londres. Je me suis donc dit que j’allais prendre le premier emploi qui se présenterait, s’il payait mieux. Et le premier poste pour lequel j’ai postulé a été dactylo chez Burroughs Wellcome, fabricant de matériel de recherche en chimie. Ils m’ont embauchée. J’ai gagné immédiatement une livre de plus par semaine. C’était beaucoup d’argent.
Mais, au bout de deux jours, j’en ai eu assez. J’avais l’impression d’avoir été parachutée dans un autre univers. Ça n’avait rien à voir. Je pensais
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