Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
terminé et nombre d’entre eux devaient maintenant reconstruire tout un pays.
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1945 et après : les conséquences immédiates
Tous ces milliers de jeunes cryptographes, linguistes et Wrens purent enfin repenser à l’avenir qu’ils s’étaient forgé, mis entre parenthèses pendant les dix années précédentes. Tout demeurait cependant abstrait, comme une marche dans le brouillard. Selon le récit de quelques anciens de Bletchley, étonnamment, aucune séance de débriefing intensif ne fut organisée. En dehors de l’ordre de garder le silence à tout prix, ces jeunes gens rejoignirent ainsi le monde libre pour entamer leur carrière.
« Il n’y avait rien, dit Oliver Lawn à propos de ses derniers jours à Bletchley Park. Rien du tout. On a signé l’Official Secrets Act. » Sa femme Sheila : « Je ne me souviens d’aucune allocution finale. Nous venions de réchapper de cette guerre atroce et tout ce qui était secret à l’époque demeurait secret désormais. »
Pour le camarade casseur de codes « Tunny » de Roy Jenkins, le capitaine Jerry Roberts, son rôle militaire ne devait pas finir avant quelque temps, comme pour de nombreux autres. Immédiatement après Bletchley, il fut affecté aux enquêtes sur les crimes de guerre.
Le temps que j’ai passé sur les crimes de guerre fut une vraie corvée. Je n’ai été démobilisé qu’en 1947. En y repensant, je considère cette période de ma vie comme la seule pendant laquelle je n’ai pas progressé et ma contribution a été nulle. Mais, peu de temps après, j’ai rencontré une Belge, la cinquantaine. Son mari avait été avocat et, pendant la guerre, ils avaient abrité des aviateurs britanniques ou alliés abattus qui essayaient de rentrer en Grande-Bretagne pour rejoindre leur unité.
Elle tenait un journal intime et un aviateur était caché dans leur maison lorsque la Gestapo débarqua pour la fouiller de fond en comble. Mais elle ne le trouva pas et repartit déçue. L’aviateur sortit alors de sa cachette et tout le monde se félicita. Mais la Gestapo fit demi-tour, c’était la ruse qu’ils employaient. Cette femme belge ne revit jamais son mari. Elle s’en sortit en faisant semblant d’être barjo. Le président du tribunal était un homme civilisé et il la laissa partir.
Mais elle avait ce journal et souhaitait le faire traduire. Je m’en suis donc chargé et son récit a été publié.
Après cet épisode, le capitaine Roberts estima qu’il devait embrasser une carrière plus amusante que celle qu’il avait imaginée au départ : « Lorsque j’ai étudié l’allemand à l’University College de Londres, c’était pour travailler au ministère des Affaires étrangères. Je me féliciterai éternellement de ne l’avoir jamais fait. Je suis entré dans une agence de publicité internationale pour occuper un poste dans le secteur des études de marché. » Il voyagea ainsi aux quatre coins du monde à une époque où bon nombre de Britanniques ne sortaient jamais du pays. « Et, pendant toute cette période, dit-il, tout se résuma aux études de marché et j’ai vraiment adoré. J’ai monté ma propre entreprise dans les années 1970. J’ai bien profité des voyages ! » Cette vie était également suffisamment prenante pour contrer la frustration de ne jamais pouvoir rien dire sur Bletchley.
De même pour Gordon Welchman, qui avait apporté tant d’innovations et systèmes précieux à Bletchley Park, la fin de la guerre constitua un tournant. Reprendre son ancienne vie universitaire à Cambridge lui paraissait totalement impossible. Vers la fin de la guerre, armé de son enthousiasme pour la structure des organisations, il avait commencé à esquisser l’avenir des Government Communication Headquarters, qui devaient devenir par la suite le GCHQ.
Il était persuadé, allant de ce fait résolument contre la pratique existant dans la fonction publique, que les cryptologues talentueux devaient bénéficier des plus hauts salaires sans devoir se plier au travail administratif. Cette croyance reposait sur son expérience au sein du baraquement 6 qui lui avait fait percevoir de visu les bienfaits d’une coopération permettant de disposer de temps pour réfléchir.
Il se retrouva cependant confronté à des attitudes bornées. Welchman estimait que l’industrie informatique britannique était fatalement freinée par la répugnance du gouvernement à financer la recherche. C’était
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