Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
Cooper, Mme Gallilee se souvient :
Je n’ai jamais su ce que faisait ma sœur dans le baraquement 10. Je ne lui ai même jamais demandé. Elle ne m’aurait rien dit de toute façon. Elle savait où je travaillais. Plus tard, quand j’ai reçu ma promotion et que j’ai pris mon poste administratif à l’intérieur du manoir, elle n’est jamais venue dans mon département. J’ai dû me rendre dans le baraquement 10 dans le cadre de ma mission à quelques reprises. J’étais obligée de m’adresser au chef untel du baraquement 10. Il m’arrivait alors de voir ma sœur.
Les rares fois où je suis allée dans son baraquement pour parler à quelqu’un, quand il s’agissait du bureau dans lequel elle travaillait, je me souviens avoir vu des feuilles remplies de chiffres. Ma sœur devait donc travailler sur des chiffres ou des lettres, mais je n’en sais pas plus.
L’augmentation de la charge de travail s’accompagna d’un accroissement du besoin d’espace. Le Secret Intelligence Service avait été brièvement transféré à Bletchley. Il occupait les derniers étages du manoir, mais ne resta pas longtemps, aussi bien pour des problèmes d’espace que pour de simples soucis opérationnels. Dans l’intervalle, les premiers jours, le rez-de-chaussée accueillit la GC&CS, dont les effectifs augmentaient quotidiennement. Les couloirs du manoir étaient remplis de tables à tréteaux. Le central téléphonique se trouvait dans la salle de bal. La Section navale dut être provisoirement installée dans la bibliothèque.
Dilly Knox, Alan Turing et Gordon Welchman trouvèrent refuge dans le Cottage. À l’époque, Turing, qui venait d’avoir 28 ans, œuvrait déjà à la conception de sa « bombe » cryptographique révolutionnaire.
Les tout premiers mois, l’irascible Dilly Knox commençait à jauger les membres de son équipe. Dans une lettre manuscrite destinée à Denniston, il dit ceci de ses jeunes subalternes : « Comme vous le savez, Joan H. est aussi une amie proche et de ma famille. Mais, comme secrétaire, elle ne vaut pas un clou. » Knox rendit ensuite sans ménagement son verdict à propos des autres :
Quelques mots sur l’encadrement supérieur :
a) Kendrick est vraiment admirable. Dommage que j’aie dû le mettre à l’école [Elmers School]. S’il a encore beaucoup à apprendre, il s’impose en seconde (voire première) position dans la hiérarchie.
b) Welchman fait du bon boulot et il est très enthousiaste. J’espère le rapatrier de là-bas [Elmers School] pour qu’il se forme sur les machines.
c) Twinn est toujours très enthousiaste et c’est un bosseur.
L’attitude de Knox envers le jeune Alan Turing était plus ambivalente :
Il n’est vraiment pas facile à canaliser.
Il est très intelligent mais assez irresponsable. Il balance tout un tas de suggestions de qualité très variable. J’ai tout juste l’autorité et les capacités nécessaires pour le maîtriser, lui et ses idées. Mais il prend très bien la chose. 14
Pendant un moment, ce fut un peu tendu entre Dilly Knox et Gordon Welchman. En tant que cryptographe en chef, Knox jugeait que le Cottage était surchargé. Welchman fut donc exilé dans l’Elmers School temporairement réquisitionnée (comme l’indique la note ci-dessus, Knox souhaitait que cet exil ne dure pas). L’idée était qu’au lieu de travailler sur le code, Welchman essaie de résoudre un problème légèrement différent, celui de « l’analyse du trafic ». Cela impliquait d’étudier les signaux interceptés afin d’en identifier l’origine, puis d’en déduire la nature des mouvements militaires.
Suite à cet exil, Welchman conclut à tort que Knox l’avait pris en grippe. Résultat, sa fierté en avait pris un coup. Il semble également que Welchman n’appréciait pas Knox. Des années plus tard, il écrivit : « Ce n’était ni un as de l’organisation ni un technicien. Il n’avait surtout qu’une idée en tête… D’une façon générale, Dilly semble ne pas avoir aimé la plupart des hommes qu’il a rencontrés. »
Il se peut très bien qu’une chose ait fortement déplu à Knox chez le jeune homme. Très vite en effet, Welchman travailla sur des projets de réorganisation des opérations de cryptanalyse qui auraient privé Knox d’une grande partie de son pouvoir et de son autorité.
Ainsi, Welchman mit à profit chaque minute de son exil. Le mathématicien John
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