Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
toujours : “Bonjour, Mademoiselle, Untel est de retour, il était là hier.” C’est comme ça qu’on gardait le contact. »
On ne peut s’empêcher de se délecter de cette image à la réjouissante incongruité. En plein black-out, le portier de l’hôtel le plus chic de Londres parvenait encore à tenir informées ces jeunes créatures désinvoltes et enjouées de l’endroit où se trouvaient leurs pairs. On peut également se demander de quel œil ces joyeux procédés étaient perçus par les amis et collègues de différents horizons.
Au début, le personnel de Bletchley Park était composé d’intellectuels ou appartenait à l’élite sociale ; de jeunes mathématiciens issus de Cambridge travaillaient aux côtés de jeunes filles arborant des perles. Selon Josh Cooper, parmi les premières jeunes filles parées de bijoux, certaines ne faisaient pas du tout l’affaire : « Il y avait une vieille secrétaire dactylo très impressionnante que la Section a immédiatement surnommée “Queen Mary”. Une jeune recrue plutôt prometteuse rendit sa position intenable, scandalisant ses logeurs, à Bletchley, en disant à tout le monde que les seuls amis qu’elle ait jamais eus étaient des Allemands. »
Bien entendu, en raison de la vague de bêtises commises par les Mitford 20 dans les années 1930 et de la suspicion récurrente envers certains membres de la famille royale, soupçonnés de ne pas être suffisamment anti-Allemands, la haute société avait plus de raisons que le restant du peuple d’être affectée par le sujet. Mais, en règle générale, la première vague de jeunes filles et débutantes titrées, dont faisait partie Sarah Baring, était loyale, parfois dure, patriotique jusqu’au bout des ongles et déterminée. Elles étaient parfois encore plus déterminées que tous les autres, avec un sens aigu du respect de leur rang. Sarah Baring n’a elle-même rien perdu du sens du devoir qui l’animait.
C’étaient également des personnes hautes en couleur, comme Maxine Birley, qui devait par la suite devenir la comtesse de La Falaise et qui, selon un ancien du Park, « organisait des fêtes qu’il ne fallait surtout pas manquer… Je me souviens de l’une d’elles où tous les invités devaient être très français ».
Lorsque les effectifs du Park s’étoffèrent, on rédigea un document pour le recrutement (aujourd’hui dans les archives). Il était destiné à « tous les contrôleurs régionaux » ayant accès au Registre central. Il offre non seulement des indications fascinantes sur la façon dont le Park était décrit pour des raisons de sécurité, mais livre aussi un aperçu des diverses questions épineuses sur les classes sociales et le traitement que l’on devait réserver aux membres de la haute société :
Nous avons été interrogés sur les postes d’assistant temporaire, au rang de cadre, à pourvoir dans une antenne du ministère des Affaires étrangères située dans le district de Bucks. La nature du travail est secrète et ne peut être révélée. Il s’agit de recruter essentiellement des jeunes femmes, mais les jeunes hommes inaptes au service militaire ne doivent pas être exclus… Les candidats doivent être alertes et d’une intelligence vraiment au-dessus de la moyenne. Il est essentiel qu’ils affichent une grande capacité de concentration et un sens de l’effort affirmé.
Sur le registre figurent peut-être également des personnes qui, de par leur statut social, auraient peut-être des difficultés à s’adapter à un travail de bureau ordinaire. Cela ne doit pas être une difficulté. S’il peut paraître snob d’avoir ce genre de considération, le fait est que les individus déjà en poste dans l’établissement en question ont un certain niveau social. Des personnes évoluant dans les mêmes sphères trouveront facilement leur place au sein de l’organisation.
Bien que le travail soit pénible, nous savons que les conditions de vie et les équipements sociaux sont agréables.
Dès que le document atterrit sur son bureau, Alistair Denniston ne tarda pas à en annuler la diffusion : « On peut maintenant ne pas tenir compte de la question du statut social car nous avons des gens de tous les horizons. » Il révéla aussi, peut-être involontairement : « Je ne souhaiterais pas que l’on mette l’accent sur nos équipements sociaux, même si d’énormes efforts sont fournis pour aider le personnel
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