Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
lignes menant inexorablement à des lieux de mort. Comme on a pu s’en apercevoir, les lignes ferroviaires étaient des cibles plutôt faciles à frapper pour les bombardiers car elles brillaient au clair de lune. Les Alliés n’auraient-ils pas dû au moins essayer de paralyser cette infrastructure et de mettre un terme aux déportations ?
La réponse reste, semble-t-il, la même : impossible de trahir le secret de Bletchley. De toute façon, ces efforts n’auraient fait que contrarier temporairement les nazis. Une ligne ferroviaire se répare facilement. Il était bien plus utile de se concentrer sur des cibles militaires et industrielles plus importantes. Pour mettre un terme à l’horreur, le seul moyen, peu importe la qualité et la précision des informations récoltées, était d’arrêter Hitler en personne.
Tout ceci montre les terribles responsabilités de Bletchley Park. À partir de 1942, la Section Abwehr de Bletchley Park déchiffra des tableaux qui se révélèrent être des rapports SS sur le nombre de personnes internées et mourant dans les camps. L’extermination collective réduite à l’expression d’une bureaucratie froidement efficace. Savoir précisément ce que prévoit l’ennemi, combien de centaines, de milliers de vies vont être prises, connaître ce genre de choses à l’avance grâce aux messages secrets déchiffrés semble être aujourd’hui un fardeau trop difficile à imaginer.
La plupart des casseurs de codes ne le savaient bien entendu pas, au moins à travers leurs tâches quotidiennes. Ils traitaient des fragments de messages pris çà et là au hasard, avant de passer le relais à l’équipe suivante. Ils connaissaient néanmoins fort bien l’importance de leur mission. Et pour les cryptanalystes en chef et les individus à la tête de Bletchley Park, ce devait parfois être à la limite du supportable. Comme devait le dire Michael, le fils de Josh Cooper, à propos de son père : « C’était l’héroïsme d’un long travail de Romain et le fardeau de secrets horribles et douloureux. » Les répercussions de cette tension se sont peut-être exprimées dans la terrible maladie dont a souffert après coup Dilly Knox.
Sur le plan interne, vu le nombre incroyable de bombardements allemands ayant frappé le centre de l’Angleterre, et la profusion de lignes ferroviaires à l’époque autour de Bletchley, rayonnant vers le nord, le sud, l’est et l’ouest, cela tient du miracle que seules deux bombes allemandes aient touché le Park. Cela se produisit, coïncidence, la nuit même du second bombardement de Coventry, à savoir le 21 novembre 1940.
Le site adjacent de l’Elmers School, qui avait autrefois accueilli Gordon Welchman, vit sa salle de dactylographie et son central téléphonique directement frappés. Une autre bombe du même largage tomba entre le manoir et le baraquement 4. On dit qu’elle souleva le baraquement de l’Enigma navale de ses fondations. En fait, il aurait fallu bien moins qu’une explosion pour parvenir au même résultat.
Et une autre bombe atterrit dans les écuries, à quelques mètres du Cottage, au moment où Dilly Knox et Mavis Lever travaillaient sur l’Enigma navale italienne. Toutefois, cette bombe n’a pas explosé. Deux autres bombes sont apparemment tombées dans le Park, là aussi sans exploser. Elles y sont toujours, mais personne ne sait vraiment où…
Certains ont fait remarquer que malgré le secret absolu entourant Bletchley, et donc l’absence de raison particulière de bombarder le site, il a eu une chance incroyable. En effet, n’importe quel bombardier rentrant à sa base et disposant encore de bombes dans sa soute aurait pu être attiré, lors d’une nuit sans nuages, par les lignes ferroviaires argentées passant dans la ville et constituant une cible attirante. Vu la situation centrale de Bletchley, il est étonnant que ce site et les stations de communication disséminées dans la campagne n’aient pas été prises au hasard pour cible.
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1940 : Bletchley et la question des classes
« Quand on avait un jour de repos, on filait à Londres par le train, dit Sarah Baring. Les petits amis ou amis revenaient de la guerre et on s’arrangeait toujours pour rester en contact. Et je vais vous dire qui s’en chargeait pour nous. C’était Gibbs, un homme d’une gentillesse infinie. Il était chef des portiers du Claridges. Il savait précisément où se trouvait notre petit ami. Il disait
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