Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
la Section navale, Frank Birch : « Vous savez, les Allemands n’ont pas envie que vous lisiez leurs trucs et je ne pense pas que vous y arriverez. » Pourtant, ces tables et autres données permirent à Alan Turing d’élaborer une nouvelle méthode pour craquer les codes, baptisée « Banburismus ». Il s’agissait en gros, comme le rappelait sa collègue et fiancée pendant un temps Joan Murray, de « grandes feuilles de papier perforées, fabriquées à Banbury ».
Souvent de nuit, se souvient Joan Murray : « Minuit était une heure particulièrement intéressante, car c’est à cette heure-là que changeaient les clés de la marine allemande. Mais les résultats de l’analyse du trafic radio d’une journée nous parvenaient avant. » Résultat, se rappelle-t-elle, en fin de garde, les gens comme Mavis Batey étaient trop absorbés par leur travail pour penser à rentrer chez eux. Ils préféraient rester pour continuer de travailler aux côtés de l’équipe qui prenait le relais.
Les répercussions sur le cours de la guerre furent pratiquement incalculables. Dans les premiers mois de 1941, les attaques de convois par les U-Boote avaient entraîné en Grande-Bretagne une pénurie catastrophique de denrées alimentaires importées. Si l’on ne parvenait pas à contrer les sous-marins allemands, il n’y aurait plus de quoi nourrir la population. En outre, le pétrole manquerait pour la production de guerre. Maintenant, selon Jack Copeland, l’affectation d’autres routes maritimes aux convois « sur la base des messages déchiffrés par le baraquement 8 porta si bien ses fruits que pendant les vingt-trois premiers jours [de juin], les U-Boote de l’Atlantique nord ne virent pas un seul convoi ».
Au beau milieu de ces événements, Joan Murray brossa un portrait rapide d’un Alan Turing ayant tendance à être distrait. « Je me souviens d’Alan Turing venant au bureau comme d’habitude alors qu’il était en congé, écrit-elle, en train de faire ses calculs la nuit, dans la chaleur et sous les lampes de son bureau, en respectant le rituel consistant à dormir le jour. » Un autre ancien se souvient lui aussi d’un Turing distrait et félicité pour son travail par un officier supérieur, bien que, plus tard, Hugh Alexander devait dire à propos du rôle de Turing : « Turing pensait qu’elle [l’Enigma navale] pouvait être craquée car il serait très intéressant de la craquer… Turing s’intéressa au problème parce que “personne d’autre ne s’en occupait et que je pouvais m’en charger tout seul”. »
Le caractère crucial du travail mené à Bletchley s’illustra à plusieurs reprises en 1941. La découverte, selon laquelle les Allemands avaient l’intention d’attaquer la Crète, et non Malte comme ils voulaient le faire croire, est à porter entièrement au crédit des casseurs de codes. Bien qu’elle ait obtenu l’information à temps, la Crète tomba aux mains de l’ennemi, mais le fait d’avoir été prévenu permit d’évacuer quelque 17 000 soldats. De la même façon, en pleine progression déprimante de la guerre en Afrique, le déchiffrement d’un message portant sur la taille et la constitution des forces de Rommel sur le col d’Halfaya, à la frontière égyptienne, offrit au moins un prix de consolation permettant aux troupes britanniques de s’échapper et d’éviter ainsi d’être battues à plate couture.
Il y eut également la fantastique opération du Bismarck . En mai 1941, ce redoutable cuirassé commandé par l’amiral Lutjens avait envoyé par le fond le HMS Hood . Sur les 2 500 hommes d’équipage, seuls trois survécurent. Quelques jours plus tard, avec l’aide de Bletchley, la Royal Navy avait repéré la position du Bismarck . Pour dissimuler l’interception de communications, on fit survoler la zone par deux ou trois avions de reconnaissance. L’objectif était de donner l’impression à l’équipage du Bismarck que l’armée de l’air britannique était tombée par hasard sur le bâtiment allemand.
En fait, les interceptions réalisées par Bletchley Park étaient le fruit d’un hasard heureux. Jane Fawcett était présente et se souvient du scénario :
« J’étais dans le baraquement 6 et j’ai fait une garde de vingt-quatre heures consacrée aux codes du Bismarck . Nous avons intercepté un message de l’un des commandants militaires de Berlin. Il demandait au haut commandement allemand
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