Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
les repas étaient pris dans le manoir. Le responsable du SIS de l’époque, l’amiral Hugh Sinclair, avait eu l’élégance de faire venir un chef du Ritz. Il y avait un service à table, effectué par des serveurs. Mimi Gallilee s’en souvient très bien parce que sa mère a justement été serveuse pendant une brève période.
Même à l’époque, tout se payait. En octobre 1939, la première de nombreuses notes internes à propos de la restauration et des pauses-thé fut diffusée au personnel. Elle stipulait : « Il n’existe aucune obligation, pour quiconque, de déjeuner sur place. Mais ceux qui prennent leur repas sur place doivent savoir que les tarifs valent pour le mois en entier. » En outre : « Le personnel du GC&CS est prié de régler ses repas à Mlle Raid, Bureau 38 ».
Ce principe de ration supplémentaire généreuse et inhabituelle de nourriture préparée de façon exquise n’était pas viable. Tout d’abord, le chef du Ritz était un personnage à l’esprit torturé qui fit une tentative de suicide. Il ne fit donc pas long feu à Bletchley Park. Ensuite, avec l’augmentation régulière des effectifs du Park, ce mode de restauration s’avérait de moins en moins pratique. Une autre ancienne de Bletchley, Jean Valentine, se souvient d’un rez-de-chaussée transformé pendant un temps en « cafétéria self-service », ce qui était radicalement nouveau pour une jeune Écossaise peu au fait de cette modernité. Par la suite, une grande cantine ouvrit ses portes, dont les plats provoquèrent une forte division parmi le personnel.
Vu la pénurie de viande, de beurre, de sucre, de presque tout en fait, il aurait été souhaité que le personnel de cantine régale ses clients grâce à son génie culinaire. Mais les réactions étaient peut-être quelque peu induites par l’éducation des gens : si une personne venait du nord de l’Écosse, où la nourriture était plutôt simple, consistante et substantielle, les efforts de Bletchley lui apportaient un certain réconfort.
Par exemple, un plat de temps de guerre, la tourte Woolton (de son inventeur, Lord Woolton, et consistant en une grosse ration de pommes de terre, navets et autres légumes fades) était plutôt prisée par certains anciens de Bletchley. Elle était peut-être simple et sans goût, mais agréablement roborative.
Irene Young livra son opinion dans ses Mémoires : « La nourriture ne faisait pas vraiment envie. Je me souviens avec un certain dégoût des tartes aux fruits emballées que nous appelions “tartes perforées”. Mais on ne s’attendait pas à manger divinement en temps de guerre. »
Comme elle le souligne, cette absence de goût n’empêchait cependant pas la demande d’être importante : « Mais certaines personnes étaient affamées et il était interdit de manger deux fois. Je me souviens d’une fille chaussant des lunettes noires dans l’espoir d’avoir plus de chance qu’Oliver Twist. Elle aussi fut rabrouée. »
Une note de service officielle de mise en garde, destinée au personnel et émanant des autorités du Park, mit le problème sur la table. « Le personnel est prié de venir chercher ses portions au comptoir, un plat à la fois. Il est interdit de venir se resservir », disait la note, qui décrivait ensuite la notion de portion. « Un toast au fromage, du fromage accompagné de légumes ou une salade sont considérés comme un plat principal. »
Mais il n’y avait pas que du fromage et des tartes perforées. Bletchley Park parvenait à servir plus souvent de la viande (de la région, apparemment) que de nombreux autres établissements. Il en allait de même pour les légumes, bien que, comme le regrettait une note d’Alistair Denniston : « La concurrence avec les chemins de fer et les usines a accru nos difficultés » concernant l’approvisionnement en produits frais. Jean Valentine raconte : « La nourriture était super à BP. Si je me souviens bien, il y avait un potager juste derrière le mur. Je ne sais pas s’ils y faisaient encore pousser des légumes, comme lorsque les Leon y habitaient. »
Sheila Lawn donnait sa préférence à la nourriture de Bletchley Park par rapport à ce que l’on servait en ville : « Un jour, je suis allée voir un film. À la sortie, j’avais faim et je suis donc allée au British Restaurant. Je me suis alors dit : “Ça ne vaut pas ce que l’on sert à la cantine.” J’ai vraiment trouvé ça
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