Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
recherchées, illustration d’une époque plus insouciante où la plupart des adultes fumaient. La rareté du tabac poussait certains à essayer d’autres marques, américaines, par exemple. Mais elles étaient jugées de moins bonne qualité que les Black Cat et Passing Clouds, plus connues.
Fuyant le charme de la cantine, Gordon Welchman se réfugiait en ville, à la recherche d’un délicieux fish and chips, qu’il enveloppait parfois dans un journal qu’il avait apporté lui-même, en raison de la pénurie. Les fournisseurs de Bletchley offraient d’autres attraits : apparemment, l’un d’eux se procurait du cœur de bœuf, destiné à la Station Inn, vendu « chérot » cependant. La gare avait son buffet, « un endroit sinistre, digne du film Brève rencontre 27 », dit Irene Young. Le café ressemblait à du venin de serpent.
Pour revenir au Park, le réconfort était autre qu’alimentaire. On servait de la bière dans le baraquement 2. Pendant sa pause, le personnel venait y bavarder pour faire retomber la pression. Les premiers jours, c’était dans le baraquement 2 que l’on venait prendre le thé et le café de l’après-midi. On y trouvait également une minuscule bibliothèque. Selon un ancien, lorsque les effectifs gonflèrent au sein du Park, le baraquement 2 se forgea une popularité qui rendit sa fréquentation intolérable : « Certaines fois, pour emprunter le couloir central, il fallait zigzaguer. » La cérémonie du thé finit par être transférée dans la cantine, et la bibliothèque dans le manoir.
On transgressait occasionnellement les règles, comme la fois où Alan Turing installa un fût de cidre dans un coin du baraquement 4. On l’avertit alors très clairement que le fût ne pouvait rester là. D’autres parvinrent à faire entrer discrètement des fûts de bière dans leur logement et passaient les soirées d’été à consommer à la cruche. En outre, les hommes avaient tendance à faire travailler les pubs des alentours, même si ces derniers étaient aussi frappés par le rationnement et la pénurie. Un ancien se souvient comme il était difficile de trouver du whisky, le contraignant à étancher sa soif avec du sherry, pis-aller qui laissait vraiment à désirer.
Sarah Baring se rappelle parfaitement de sa découverte de l’alcool à Bletchley Park :
Il y avait le Recreation Club. Avec mon amie Osla, nous étions trop timides au départ pour en faire partie. Mais nous avons fini par prendre notre courage à deux mains, dans l’espoir qu’on nous offre un verre de bière en tant que candidates dignes de devenir membres. Je suis sûre que tout le monde était le bienvenu, mais nous l’ignorions à l’époque. C’est dans ce baraquement des loisirs ou de la bière, comme on l’appelait communément, que j’ai découvert les boissons alcoolisées.
C’était du gin néerlandais, liquide huileux jaune pâle. À la première gorgée, j’ai failli prendre feu, ressentant comme une éruption volcanique. Puis, lorsque le breuvage s’est glissé dans mes entrailles, une chaleur a envahi mon estomac et j’ai très vite avalé une autre gorgée…
Le travail de nuit s’avérait le plus usant, non seulement du point de vue professionnel, mais également au niveau de la boisson. Le thé était infusé jusqu’à devenir orange vif et le lait était souvent « en poudre », ayant tendance à former de gros grumeaux peu appétissants. Manger en pleine nuit du fromage, des pickles, voire des pruneaux entraînait des problèmes digestifs. Jean Valentine découvrit que l’emploi du temps strict en vigueur n’était pas sans effets secondaires inattendus : « Vous avez l’estomac tout chamboulé. Le matin, au réveil, vous prenez normalement votre petit déjeuner. Mais après une nuit de travail, c’est le dîner qui vous attend lorsque vous vous réveillez. Autrement dit, vous terminez à 8 heures, vous allez vous coucher, puis vous vous levez vers 17 heures ou 18 heures pour avaler votre dîner et non votre petit déjeuner. La plupart des gens avaient des maux de ventre. »
Mais elle ajoute : « La nourriture était très bonne et, comparé à ce que j’ai eu par la suite sur le bateau nous emmenant à Ceylan [mission de cryptanalyse en Extrême-Orient], c’était magnifique, servi dans une cafétéria, ce qui était une nouveauté pour nous. Lorsque vous alliez prendre votre repas, vous preniez place à table et quelqu’un
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