Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
les perturber avec les restrictions et la discipline imposées à tous les autres.
Pour le travail quotidien, il fallait décider de qui se chargerait des différentes tâches de cryptanalyse et de traduction. Les baraquements avaient chacun leurs « responsables », sans que le sens hiérarchique soit fermement établi, comme le dit Mavis Batey. Elle se souvient également comment, lors de leur visite, des soldats américains, dont une équipe devait venir travailler au Park, furent interloqués par une attitude apparemment typiquement britannique :
On ne pouvait vraiment trouver personne à interroger. Il y avait bien Dilly, mais il n’expliquait pas très clairement. En tout cas, un nouveau venu avec une idée lumineuse pouvait très bien se montrer à la hauteur.
Et c’est ce qui faisait la beauté de l’éthique et de l’environnement du Park et de la mission… Il s’est trouvé que j’étais aux commandes le jour de la venue des Américains. L’un deux trouvait incroyable que ce soit une jeune fille de 19 ans qui lui explique comment craquer les codes, mais je connaissais le travail et je savais ce que je faisais.
Au vu du récit de spécialiste de Rebecca Ratcliff, la façon de travailler de tout le monde au Park révélait un sens de la communauté :
La coopération s’instaura dans chaque baraquement. La garde, consistant en la traduction et la diffusion des messages déchiffrés, incitait à collaborer. Les membres traduisaient les messages assis autour d’une table et se consultaient fréquemment en cas de difficultés. Cette incitation à l’échange concernait aussi le personnel administratif. Une secrétaire décrit les réunions « soviétiques », « au cours desquelles on mettait sur le tapis tous les griefs et on examinait toutes les suggestions », et tout le monde prenait la parole. Ce climat de collaboration « supprimait tout désaccord caché ».
Il pouvait y avoir du ressentiment, et non du désaccord, car certains membres du personnel jugeaient les civils plutôt privilégiés et dorlotés, avec leurs tennis et leurs pique-niques, et ils les soupçonnaient d’échapper à leurs obligations.
Plus tard au cours de la guerre, il y eut ceux, à l’instar du capitaine Jerry Roberts, qui, bien qu’appartenant à l’armée, étaient plus précieux à travailler sur les codes « Tunny ». Mais le capitaine Roberts n’a-t-il jamais ressenti une pointe de frustration du fait que ses ordres ne dépassent jamais les limites du Park ?
« J’imagine que j’aurais dû être malheureux de ne pas participer aux vrais combats, mais cela ne m’a jamais ennuyé, dit aujourd’hui le capitaine Roberts. On savait que notre mission était beaucoup plus importante que n’importe quelle contribution en tant que soldat ou officier. »
Mais, en 1942, le harcèlement compréhensible des cryptographes par l’armée, accompagné de l’inévitable conflit portant sur le temps à consacrer aux codes de la marine plutôt qu’à ceux de l’armée de terre et vice-versa, était incessant. On finit par trouver une solution. « Une commande subite d’un grand nombre de machines par le baraquement 8 aurait sérieusement perturbé le programme et il était difficile d’apporter une réponse satisfaisante à la question de la rapidité d’approvisionnement et de la quantité de bombes dont devait disposer la marine, se rappelle un ancien. En outre, seuls les techniciens pouvaient se prononcer. Les sections de renseignement pouvaient fixer des priorités, mais, dans la pratique, les décisions reposaient sur des considérations techniques. On a donc formé un groupe de cinq contrôleurs et on a mis en place une rotation afin qu’il y ait toujours un contrôleur de service. »
Ces hommes en civil au sein de Bletchley Park avaient la possibilité de remplir un certain type d’obligations militaires, principalement au sein de la Home Guard. C’était pour certains une distraction pénible. Keith Batey se souvient : « J’étais en train de craquer un message chiffré, puis j’ai dû tout arrêter et sortir… C’était foutument débile, surtout qu’en 1944 il n’y avait aucun risque d’invasion. C’était organisé et nous avons tous dû y passer. On portait tous cet uniforme stupide. C’était vraiment idiot. »
À l’inverse, Oliver Lawn trouvait que ce soupçon d’expérience militaire offrait un répit bienvenu et permettait de s’évader des
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