Les chasseurs de mammouths
solitude. Était-ce la
bouza qui avait émoussé ce penchant et l’avait incitée à se montrer moins
réservée ? Plus audacieuse ? Était-ce dans ce but que les gens en
buvaient ?
Elle rouvrit les yeux, se leva précautionneusement, en se tenant
la tête à deux mains. Elle alla se soulager dans le panier prévu à cet effet – un
panier au tressage étanche, à moitié rempli des bouses séchées et pulvérisées
des animaux des steppes, qui absorbaient les déjections. Elle se lava ensuite à
l’eau froide, ranima le feu, y plaça quelques pierres à cuire. Elle s’habilla
avec la tenue qu’elle s’était faite avant de venir en ces lieux. Elle la
trouvait maintenant plutôt grossière. Pourtant, lorsqu’elle l’avait cousue,
elle lui avait paru très originale, très élaborée.
Toujours sans faire de mouvements brusques, elle prit plusieurs
petits paquets dans son sac à remèdes, prépara un mélange, en proportions
variées, d’écorce de saule, d’achillée, de bétoine et de camomille. Elle versa
de l’eau froide dans la petite corbeille à cuire qu’elle utilisait pour la
tisane du matin, y mit des pierres brûlantes pour la faire bouillir, ajouta
ensuite les herbes et l’écorce. Elle resta accroupie près du feu, les yeux
clos, pour attendre que la tisane infusât. Soudain, elle se releva d’un bond,
sans se soucier de la douleur qui lui martelait le crâne, et reprit son sac à
remèdes.
J’ai failli oublier, se dit-elle, en sortant les paquets d’herbes
contraceptives qui étaient le secret d’Iza. Sans trop savoir si elles aidaient
son totem à chasser l’esprit du totem d’un homme, comme le croyait Iza, ou si,
comme elle-même le soupçonnait, elles résistaient à l’essence de l’organe
masculin, Ayla ne voulait prendre aucun risque de concevoir un enfant. La
situation était trop incertaine. Elle avait désiré un enfant amorcé par
Jondalar mais, en attendant que l’infusion fût prête, elle se surprit à se
demander à qui ressemblerait un petit qui serait un mélange d’elle-même et de
Ranec. Serait-il comme lui ? Comme elle ? Aurait-il un peu des
deux ? Oui, sans doute... comme Durc et comme Rydag. L’un et l’autre
étaient des mélanges. Un fils de Ranec, à la peau sombre, serait différent lui
aussi, mais, pensait-elle avec une trace d’amertume, personne ne l’appellerait
un monstre, ne le prendrait pour un animal. Il serait capable de parler, de
rire, de pleurer, comme tout le monde.
Sachant combien Talut avait apprécié son remède contre les maux
de tête, la dernière fois qu’il avait abusé de son breuvage, Ayla en fit assez
pour plusieurs personnes. Après avoir vidé sa coupe, elle se mit à la recherche
de Jondalar. La nouvelle construction, qui donnait directement sur le Foyer du
Mammouth, se révélait bien commode, et la jeune femme était soulagée de ne pas
avoir à traverser le Foyer du Renard. Les chevaux étaient dehors, mais, en
passant par l’écurie, elle remarqua les fourrures de voyage de Jondalar,
roulées au pied du mur, et se demanda comment elles se trouvaient là.
Elle repoussa la lourde tenture de la seconde arche, vit Talut,
Wymez et Mamut en conversation avec Jondalar, qui lui tournait le dos.
Elle s’approcha.
— Comment va tête, Talut ? demanda-t-elle.
— Viens-tu m’offrir un peu de ton remède magique ?
— J’ai mal de tête. Je fais tisane. En reste dans foyer,
expliqua-t-elle.
Elle se tourna vers Jondalar, avec un joyeux sourire. Elle était
heureuse de l’avoir retrouvé.
Un instant, elle reçut un sourire en réponse. Un bref instant
seulement. Le visage de son compagnon s’assombrit, ses yeux prirent une
expression qu’elle ne leur avait jamais vue.
Le sourire d’Ayla s’effaça.
— Veux infusion aussi, Jondalar ? demanda-t-elle,
désemparée, angoissée.
— Pourquoi en aurais-je besoin ? Je n’ai pas trop bu,
la nuit dernière, mais sans doute ne l’as-tu pas remarqué.
Sa voix était si froide, si distante qu’elle avait peine à la
reconnaître.
— Où tu étais ? J’ai cherché tout à l’heure, mais n’étais
pas dans lit.
— Toi non plus, répliqua-t-il. A mon avis, l’endroit où j’étais
ne devait pas t’intéresser beaucoup.
Il lui tourna le dos, s’éloigna. Elle regarda les trois autres
hommes, lut un certain embarras sur le visage de Talut. Wymez semblait mal à l’aise,
sans être pourtant chagriné. Elle fut incapable de déchiffrer
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