Les chasseurs de mammouths
liquide
fermenté. Le goût était légèrement sucré, mais le breuvage lui brûla la bouche.
Elle refusa une seconde rasade. Elle n’aimait pas cette boisson. Jondalar, lui,
semblait l’apprécier.
Les gens, tout en parlant, en riant, trouvaient place sur les
couchettes ou sur des fourrures et des nattes jetées sur le sol. Ayla avait
tourné la tête pour écouter une conversation quand le bruit s’apaisa soudain.
La jeune femme se retourna. Le vieux Mamut se tenait debout près du foyer dans
lequel brûlait un petit feu. Quand toutes les conversations se furent tues,
quand il eut drainé l’attention de toute l’assemblée, il prit une petite
torche, l’approcha des flammes pour l’allumer. Dans le silence attentif qui
tenait toutes les respirations en suspens, il apporta la flamme jusqu’à une
petite lampe de pierre qui se trouvait dans une niche du mur, derrière lui. La
mèche de lichen séché crépita dans la graisse de mammouth avant de s’enflammer
et de révéler la petite statue en ivoire d’une femme aux formes généreuses,
placée derrière la lampe.
Ayla la reconnut sans l’avoir jamais vue. C’est ce que Jondalar
appelle une donii, pensa-t-elle. Selon lui, elle renferme l’esprit de la Grande
Terre Mère. Ou peut-être seulement une partie. Elle paraît trop petite pour
contenir l’esprit tout entier. Mais, après tout, quelle taille peut avoir un
esprit ?
Sa mémoire la reporta à une autre cérémonie : le jour où on
lui avait remis la pierre noire qu’elle conservait dans le sac à amulette
suspendu a son cou. Le petit bloc de bioxyde de manganèse contenait un peu de l’esprit
de chaque membre du Clan. La pierre lui avait été donnée quand elle était
devenue guérisseuse. En échange, elle avait renoncé à une part de son propre
esprit. De cette façon, si elle sauvait la vie de quelqu’un, le malade guéri n’avait
aucune obligation envers elle, il n’était pas obligé de la payer en retour. C’était
fait d’avance.
Quelque chose la tourmentait encore : quand elle était
tombée sous le coup de la Malédiction Suprême, les esprits n’avaient pas été
rendus à leurs possesseurs. Creb les avait repris à Iza après la mort de la
vieille guérisseuse, afin de ne pas les laisser partir avec elle vers le monde
des esprits, mais personne n’avait fait de même pour Ayla. Si elle détenait une
part de l’esprit de chaque membre du Clan, Broud les avait-il placés, eux
aussi, sous la Malédiction Suprême ?
Suis-je morte ? se demandait-elle. Elle s’était déjà bien
souvent posé cette question. Mais elle ne pouvait y donner de réponse. Le
pouvoir de la Malédiction Suprême, elle l’avait appris, résidait dans la croyance
qu’on lui accordait. Quand les êtres aimés ne reconnaissaient plus votre
existence, quand vous n’aviez plus nulle part où aller, vous pouviez tout aussi
bien être mort. Mais pourquoi n’était-elle pas morte ? Quelle raison l’avait
poussée à ne pas renoncer ? Plus important encore, qu’adviendrait-il du
Clan quand elle finirait par mourir pour de bon ? Sa mort pourrait-elle
nuire à ceux qu’elle aimait ? Au Clan tout entier, peut-être ? Le
petit sac de cuir pesait tout le poids de sa responsabilité, comme si le destin
du Clan entier était suspendu autour de son cou.
Elle fut arrachée à sa rêverie par un son rythmé. A l’aide d’un
segment de bois de renne en forme de marteau, Mamut frappait sur un crâne de
mammouth, peint de lignes géométriques et de symboles. Ayla crut percevoir une
qualité qui dépassait le simple rythme. Elle observa, écouta plus
attentivement. La cavité du crâne enrichissait le son de vibrations sonores,
mais il y avait là plus que la simple résonance d’un instrument. Quand le vieux
chaman frappait sur différentes zones du crâne-tambour, la hauteur, la tonalité
se modifiaient en variations complexes et subtiles : on avait l’impression
que Mamut faisait parler le crâne du vieux mammouth.
Du plus profond de sa poitrine, le vieillard entonna une
mélopée, en modulations mineures étroitement liées. Tambour et voix tissaient
un motif sonore compliqué. Çà et là, dans la salle, d’autres voix s’élevèrent,
se fondirent dans le mode déjà instauré tout en lui apportant des variantes. Le
rythme du tambour fut repris, de l’autre côté du foyer, par un rythme
semblable. Ayla regarda dans cette direction : Deegie frappait sur un
autre crâne. Tornec se mit à
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