Les chasseurs de mammouths
graisse de mammouth et l’ocre rouge. Ce furent Nezzie,
Crozie et Tulie, les trois anciennes, qui enduisirent le corps de Rydag de
baume, et qui l’habillèrent ensuite. Ayla mit de côté une noix de baume, et
glissa un morceau d’ocre rouge dans la bourse qu’elle venait de confectionner.
— Et pour le linceul ? fit Nezzie.
— Un linceul ? Qu’est-ce que c’est ? demanda
Ayla.
— Chez les Mamutoï, pour transporter le corps nous l’enveloppons
dans une peau de bête, ou dans une fourrure. Et il reste enveloppé quand on le
met en terre.
Ayla craignit, qu’en parant Rydag de beaux habits et de bijoux,
les funérailles fussent plus mamutoï que Clan. Les trois femmes attendaient
anxieusement sa réponse. Ayla les regarda tour à tour. Oui, Nezzie avait
raison, il était bon de l’envelopper dans une fourrure ou dans une peau. Elle
dévisagea alors Crozie.
Elle se souvint d’un coup d’un objet auquel elle n’avait plus
pensé depuis longtemps : la couverture de Durc, celle dont elle se servait
pour le porter quand il était bébé. C’était le seul objet inutile qu’elle avait
emporté en quittant le Clan. Pendant de nombreuses nuits, lorsqu’elle s’était
retrouvée seule, la couverture de Durc avait été son unique lien avec un passé rassurant
et avec ceux qu’elle avait aimés. Combien de fois s’était-elle endormie avec
cette couverture ? Combien de fois la couverture avait-elle séché ses
pleurs ? C’était le seul souvenir qu’elle gardait de son fils, et elle
refusait de s’en séparer. Mais allait-elle conserver cette couverture toute sa
vie ?
Ayla remarqua que Crozie l’observait et elle se souvint de la
cape blanche que la Mamutoï avait confectionnée pour son fils. Elle l’avait
conservée plusieurs années, mais avait accepté de s’en séparer pour le
bien-être de Rapide, pour qu’elle lui serve de couverture. Celle de Durc ne
serait-elle pas plus utile à Rydag dans son voyage dans le monde des
esprits ? Crozie s’était déchargée du poids de la mort de son fils, n’était-il
pas temps pour elle de suivre son exemple ? Elle avait la chance que Durc
fût bien vivant, lui.
— J’ai quelque chose pour l’envelopper, dit Ayla.
Elle courut où elle rangeait ses affaires et sortit une peau qu’elle
déplia. Elle porta la vieille pièce de cuir souple à sa joue, ferma les yeux et
se recueillit un instant. Puis elle retourna auprès des trois femmes et tendit
la peau à la mère de Rydag.
— Voilà, fit-elle. C’est un linceul du Clan. Il appartenait
à mon fils, et il protégera Rydag dans le monde des esprits. Je dois te remercier,
Crozie, ajouta-t-elle.
— Me remercier de quoi ?
— De tout ce que tu as fait pour moi, et de m’avoir
convaincue que les mères doivent apprendre à oublier.
— Hum ! grogna la vieille femme, essayant de garder
une mine sévère alors que son regard trahissait l’émotion.
Nezzie prit la peau et en recouvrit le corps de Rydag.
Il faisait déjà nuit. Ayla avait envisagé de faire une simple
cérémonie sous la tente, mais Nezzie lui demanda d’attendre le matin et de
conduire la cérémonie au grand jour pour prouver à tous la condition humaine de
Rydag. Elle espérait aussi que les chasseurs seraient de retour. Personne ne
voulait que Talut et Ranec manquent les funérailles.
Le lendemain en fin de matinée, on porta le corps dehors et on l’étendit
sur la peau. Le bruit circulait qu’Ayla conduirait les funérailles de Rydag
selon les coutumes du Clan, et, curieux, de nombreux Mamutoï s’étaient
rassemblés et il en arrivait d’autres. Le bol d’ocre rouge et l’amulette à côté
d’elle, Ayla commença à invoquer les esprits comme elle avait vu Creb le faire,
quand un brouhaha l’interrompit. Au grand soulagement de Nezzie, les chasseurs
rentraient enfin, rapportant des chargements de viande de mammouth. Ils avaient
tiré les travois à tour de rôle et, conquis par les avantages des traîneaux,
avaient échafaudé des projets d’aménagement pour les rendre plus maniables aux
humains.
On ajourna la cérémonie le temps d’entreposer la viande, et
Talut et Ranec furent rapidement mis au courant des événements. La mort du
jeune garçon pendant la Réunion d’Été des Mamutoï posait un cruel dilemme. On l’avait
traité de monstre, d’abomination, d’animal, et on n’enterrait pas les animaux.
On stockait leur viande. Seuls, les humains bénéficiaient de funérailles
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