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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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bienvenu, mon fils. Permettez-moi
de me retirer quelques instants. La chaleur... sans doute.
    Il prit congé sans tarder et Éleusie resta debout, seule au
milieu de ce grand bureau dont les contours se diluaient.
    Elles étaient revenues. Les visions infernales. Nul endroit
ne l’en protégerait plus jamais.

 
     
Manoir de Souarcy-en-Perche, juillet 1304
    Il était si beau, si jeune, si lumineux qu’Agnès songea
stupidement qu’il devait être charitable.
    Lorsque Adeline était venue lui annoncer en butant sur ses
mots qu’un seigneur-moine venu tout exprès d’Alençon l’attendait dans la grande
salle commune, vêtu d’une cape blanc cassé et d’une robe noire, elle avait
aussitôt compris. Son hésitation avait été brève : il n’était plus temps
de reculer.
    Il patientait debout, son haut crucifix dressé entre ses
mains jointes.
    — Monsieur ?
    — Frère Nicolas... J’appartiens à la maison
d’Inquisition d’Alençon.
    Elle haussa les sourcils, feignant la surprise, luttant
contre l’emballement de son cœur. Il lui sourit et elle se fit la réflexion
qu’il s’agissait du sourire le plus émouvant qu’elle eût jamais vu. Une sorte
de chagrin sembla noyer les yeux sombres du dominicain, et il murmura d’un ton
douloureux :
    — Il nous est venu aux oreilles, madame, ma sœur en
Jésus-Christ, que vous auriez, dans le passé, hébergé une hérétique plutôt que
de la livrer à notre justice. Il nous est venu aux oreilles que vous auriez
élevé son fils posthume dans des circonstances si troubles qu’on y voit œuvre
de démon.
    — Il s’agirait donc de cette suivante nommée Sybille
qui ne m’a servie que peu de temps avant de décéder de faiblesse au cours de sa
délivrance ? L’hiver avait été si meurtrier, tant étaient morts.
    — En effet, madame. Tout nous porte à croire qu’il
s’agissait d’une hérétique en fuite.
    — Billevesées. Ce sont ragots de mauvaise femme jalouse
et je peux même vous donner l’identité de votre informatrice. Je suis pieuse
chrétienne...
    Il l’interrompit d’un élégant geste de la main :
    — Comme attesté par votre chapelain ? Le frère
Bernard ?
    — La mère abbesse des Clairets ainsi que la sœur tourière
qui me visite souvent — Jeanne d’Amblin  – devraient en témoigner
devant Dieu.
    Après quelques jours passés dans l’abbaye, quelques habiles
questions, Nicolas l’avait compris. Aussi avait-il mis de côté l’accusation de
commerce charnel avec un homme de Dieu. Il ne l’utiliserait qu’en dernier
recours. Il biaisa :
    — L’heure n’est pas au procès, et encore moins à la
condamnation. L’heure est au temps de grâce, ma sœur. (Il ferma les yeux, le
tourment tendant son visage angélique :) Confessez. Confessez et
repentez-vous, madame, l’Église est bonne et juste, elle vous aime. Elle vous
pardonnera. Nul n’apprendra ma visite, et vous aurez lavé votre âme de ses
souillures.
    L’Église lui pardonnerait, mais elle serait remise entre les
mains du pouvoir séculier qui confisquerait son douaire, donc sa fille et
Clément. Elle hésita, doutant être de force à résister à une procédure
inquisitoire, et décida de gagner un peu de temps.
    — Mon frère... J’ignore les crimes odieux dont vous
m’accusez. Cela étant, j’ai toute confiance en votre robe et en votre fonction.
Me suis-je laissé abuser ? Ai-je fait preuve d’une candeur coupable ?
Je dois sonder mon âme à ce sujet... Quoi qu’il en soit, son fils Clément a été
élevé dans le respect et l’amour de notre Sainte Église, et ignore tout des lamentables
erreurs de sa mère... si elles étaient avérées.
    Il rangea son crucifix dans la poche ventrale de son surcot
et avança vers elle, mains tendues, un sourire de félicité aux lèvres.
     
    Un masque... un écorché rongé de vermine... Carapaces
rougeâtres, pattes grouillantes, mandibules voraces, crochets impitoyables
fouillant les chairs. Une odeur de charogne... des côtes rongées par
d’obstinées mâchoires... le museau rougi de sang d’un rat.
     
    La vision était si réelle qu’Agnès suffoqua. D’où lui
venaient ces intenables images de mort, de souffrance ? La bête était
devant elle. Elle recula.
    Nicolas pila à quelques pas d’Agnès, tentant de percer le
mystère de ce joli visage de femme qui venait de se décomposer. L’espace d’un
fugace instant, il lui sembla qu’il avait déjà vécu cette scène,

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