Les chevaliers de la table ronde
bien Urfin, mais
elle savait aussi que celui-ci savait tous ses secrets à propos de l’enfant qu’elle
avait eu d’Uther Pendragon. Elle répondit cependant avec force : « Seigneur
roi, si cet homme t’avait donné son gage pour prouver cette accusation de
meurtre et de trahison, je suis bien sûre qu’avec l’aide de Dieu je trouverais
quelqu’un pour défendre ma cause. Car, je le jure sur ma tête, je suis innocente
des crimes dont on m’accuse ! »
Urfin se précipita aussitôt et déposa son gage dans la main
du roi. Et il reprit la parole, très fort, de façon à être entendu de tous :
« Seigneurs du royaume de Bretagne, vous êtes tous concernés par cette affaire.
Vous avez devant vous la reine Ygerne que le roi Uther Pendragon rendit
enceinte la première nuit où il partagea sa couche. Et ce que vous ne savez pas,
c’est que cette femme mit alors au monde un héritier mâle. Mais comme elle
était plus acharnée à perdre ce royaume plutôt qu’à lui être utile, elle ne
voulut pas garder cet enfant. Qu’elle l’ait tué ou qu’elle s’en soit
débarrassée autrement, nul n’a pu savoir, à ma connaissance du moins, ce qu’il
était devenu. Roi Arthur, cette femme n’a-t-elle pas trahi celui qu’elle avait
mis au monde, dépassant ainsi en perfidie et en cruauté toutes les mères, de
quelque sorte qu’elles fussent, car toutes les mères sont remplies d’amour pour
leur enfant ? Et si elle persiste à nier sa trahison, je suis prêt à la prouver,
mais je ne crois pas qu’il me faudra revêtir mon haubert et aller combattre son
champion, car elle sait bien que je dis la vérité. »
Le roi regarda Ygerne et eut pitié d’elle, car elle faisait
peine à voir. Néanmoins, il fit taire ses sentiments et, d’un ton sévère, il
lui dit : « Dame, il faut répondre. Cet homme a-t-il dit la vérité ?
Si c’est oui, sache que tu as bien mal agi ! » Ygerne était si confuse
qu’elle ne put ouvrir la bouche. Elle savait fort bien qu’Urfin disait la
vérité. Et, dans la salle, le tumulte et la confusion grandissaient Ainsi donc,
le roi Uther Pendragon avait eu un héritier mâle ! Tous les barons commentaient
les paroles d’Urfin, persuadés qu’il avait raison en disant que la reine méritait
la mort pour avoir agi de la sorte. Enfin, Arthur réclama le silence et, quand
il l’eut obtenu, il ordonna à Ygerne de répondre à l’accusation.
La pauvre femme tremblait de peur et de honte. Que
pouvait-elle répondre ? Elle était bien la première à savoir qu’Urfin
avait raison. Alors, elle s’écria : « Merlin, Merlin ! maudit
sois-tu, toi qui es la cause de mon malheur, toi qui as reçu cet enfant et qui
en as fait ce que tu as voulu ! » Arthur fit mine d’être très surpris :
« Merlin ! dit-il. Qu’est-ce que Merlin a à voir dans cette affaire ? »
Mais avant qu’Ygerne eût pu répondre, Merlin, sous l’aspect du vieillard
vénérable qui était apparu à Arthur dans la forêt, sortit des rangs et s’approcha
de la table du roi. Il se tourna vers Ygerne : « Dame, pourquoi cette
malédiction contre Merlin ? Il vous a aidés et secourus, toi et Uther
Pendragon qui, sans lui, ne serait jamais devenu roi ! – Certes ! répliqua
Ygerne, Merlin nous a aidés, tout au moins au début, mais il nous a fait payer
très cher les services qu’il nous a rendus ! C’est lui qui nous a pris le
premier enfant que Dieu nous a donné sans que je puisse savoir ce qu’il en a
fait. Il a bien prouvé alors sa nature diabolique, car il a refusé d’attendre, pour
l’emporter, qu’il soit baptisé, ne voulant pas que Dieu eût sa part dans cette créature !
– Dame, reprit Merlin, je pourrais, sur ce point, si je le voulais, me montrer
plus véridique que toi ! – C’est impossible ! Nul mieux que moi ne
pourrait savoir la vérité ! – C’est ce que nous verrons », répondit
Merlin. Puis, se tournant vers le roi : « Seigneur, dit-il, si tu
veux que je raconte devant tout le monde pourquoi Merlin a emporté cet enfant, oblige
la reine à jurer sur les saintes reliques qu’elle ne me démentira pas si je dis
la vérité. »
Arthur ordonna qu’on apportât immédiatement les reliquaires.
La reine se leva de table et dit à Merlin : « Je prêterai ce serment,
mais avec une condition, vieillard, que tu me révèles ton nom ! »
Puis elle jura sur les saintes reliques de ne pas démentir les paroles que le
vieillard allait
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