Les chevaliers de la table ronde
qu’Uther
Pendragon m’a donné son fils pour en faire ce que je voudrais. – C’est exact, répondit
Urfin, et je sais même le jour exact où il est né et où il t’a été remis. – Et
toi, Antor, connais-tu l’homme qui t’a remis l’enfant que je t’ai demandé d’appeler
Arthur ? » Antor regarda soigneusement Merlin, puis il dit :
« C’est toi-même qui es venu apporter l’enfant dans ma demeure, je m’en
souviens très bien et je peux même te préciser le jour et l’heure. » Urfin
et Antor s’accordèrent parfaitement sur le jour et l’heure. Ils comprirent
alors qu’Arthur était bel et bien l’enfant qu’Uther Pendragon avait donné à
Merlin. Ils ajoutèrent que jamais le royaume de Bretagne ne connaîtrait joie
comparable à celle des grands seigneurs lorsqu’ils apprendraient la nouvelle, car
ils méprisaient et haïssaient Arthur parce qu’ils ignoraient tout de sa
naissance. Enfin, Merlin demanda à Antor de venir à l’assemblée en compagnie de
voisins qui pourraient servir de témoins et du prêtre qui avait baptisé l’enfant.
Antor, tout heureux de la tournure que prenaient les événements, assura Merlin
qu’il saurait produire des témoins convaincants. Puis Merlin prit Urfin à part
et eut avec lui une longue conversation.
Enfin arriva le dimanche où Arthur avait convoqué les barons
et leurs épouses. Ils étaient tous venus en grand apparat, curieux de savoir ce
que le roi leur demanderait. La cour fut remplie de vaillants chevaliers, de
dames et de demoiselles renommées pour leur beauté. Parmi celles-ci se trouvait
la reine Ygerne qui, malgré son âge, avait conservé tous les charmes de sa
jeunesse. Mais, de l’avis général, la plus belle entre toutes était
incontestablement sa fille Morgane, dont la chevelure noire comme des plumes de
corbeau faisait ressortir le charme indéfinissable de son visage toujours
marqué par un sourire énigmatique. Et il y avait aussi sa sœur, la femme du roi
Loth, mais celle-ci évitait de se trouver en présence d’Arthur.
Or, quand les tables furent dressées et que tous eurent pris
place, Urfin, qu’on connaissait bien et qu’on respectait fort parce qu’il avait
été le confident d’Uther Pendragon, vint devant Arthur et dit de manière à être
entendu dans toute la salle : « Roi Arthur, je suis très surpris de
voir que tu acceptes à ta table une dame qui a commis un crime tel qu’elle est
indigne de gouverner ses États. Si l’on voulait en effet faire éclater la
vérité, on s’apercevrait que cette dame est coupable de meurtre et de trahison.
Et toi que l’on considère comme un homme de bien, si tu tolères à ta table une
pareille criminelle, on ne peut plus voir en toi un roi épris de justice mais l’être
le plus perfide qui soit ! »
Arthur fit semblant d’être irrité. Il répondit aussitôt :
« Urfin, fais bien attention à ce que tu dis. Si tu ne justifies pas tes paroles,
tu risques d’en supporter les conséquences. – Seigneur roi, je sais très bien
ce que je dis : à ta table se trouve une femme qui ne devrait pas s’y
asseoir, et qui pourtant porte de grands titres. Elle a commis en effet, de
notre vivant à tous deux, le meurtre le plus affreux et la trahison la plus
odieuse qui soient. Si elle voulait le nier, je serais prêt à le prouver contre
les meilleurs chevaliers de cette cour, si du moins il y en avait qui aient l’audace
et l’impudence de soutenir sa cause et de se battre en champ clos contre moi !
– Cela suffit ! s’écria le roi. Il te faut maintenant révéler devant nous
le nom de celle contre qui tu portes une si lourde accusation ! – Assurément,
dit Urfin, c’est la reine Ygerne, ici présente, et elle ne peut avoir assez d’audace
pour le nier ! »
Un murmure d’étonnement se répandit dans l’assemblée. Le roi,
faisant mine d’être surpris, se tourna vers Ygerne : « Dame, dit-il, tu
as entendu l’accusation de ce chevalier. Réfléchis bien à ce que tu vas faire
ou dire, car s’il peut prouver ce qu’il avance, je te déshériterai de toutes
les terres que tu tiens en mon nom. Je ne peux agir autrement, car je serais
alors déshonoré si je ne faisais pas justice. Le crime dont il t’accuse est si
grave que tu devras être enfermée durant toute ta vie ou bien être enterrée
vive ! »
La reine Ygerne était terrifiée, se sentant prise dans un
piège d’où elle ne savait comment se tirer. Elle connaissait
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