Les chevaliers de la table ronde
aller. »
Mais, alors, Gauvain s’interposa : « Non, mon oncle, dit-il, c’est à
moi de partir. Notre honneur à tous est en jeu, et je m’engage, en ton nom, au
nom de Kaï et de tous tes compagnons, à réussir cette entreprise. Je ramènerai
le frein. » Arthur réfléchit un instant, puis il dit : « C’est
bien. Pars, beau neveu, et que Dieu te protège ! »
Gauvain monta sur la mule et la jeune fille lui donna sa bénédiction.
Il laissa aller l’animal qui se mit à trotter et s’engagea dans la forêt. En
passant dans le bois où rugissaient les bêtes féroces, il fut très étonné, mais
ne s’émut guère, car il avait remarqué que les bêtes se gardaient bien d’approcher.
Il en fut de même dans la vallée ténébreuse. Et quand il parvint à la planche
de métal qui reliait les deux rives de la rivière aux eaux noires, il se dit qu’il
fallait passer coûte que coûte.
Il se recommanda à Dieu et frappa la mule. Celle-ci sauta
sur la planche. La planche ne céda point sous le poids de l’animal et de l’homme.
Il arriva pourtant, en plusieurs endroits, que le pied de la mule glissât et qu’elle
se trouvât ainsi sur le point de tomber dans le vide. Gauvain n’était guère
rassuré, mais il tenait bon, et c’est sans encombre qu’il atteignit la rive
opposée. Là, il respira profondément et remercia Dieu de lui avoir permis de
franchir ce mauvais pas. La mule s’était remise en marche dans un sentier qui
les mena devant une forteresse très bien située, puissante et belle, encerclée
d’un fossé très profond. Et Gauvain remarqua qu’il y avait une palissade faite de
gros pieux bien affûtés sur lesquels étaient fichées des têtes d’hommes. Il
remarqua également qu’un seul pieu ne portait pas de tête.
Mais Gauvain n’était pas au bout de ses surprises, car en
cherchant le moyen d’entrer dans la forteresse, il s’aperçut que celle-ci
tournait sur elle-même à une vitesse assez grande, comme si elle avait été
bâtie sur un pivot. De ce fait, la porte et le pont qu’on voyait de temps à
autre n’étaient jamais à la même place. Il se demandait bien ce que tout cela
signifiait, mais il était néanmoins décidé à faire tout ce qui était en son
pouvoir pour pénétrer dans les lieux. Il se plaça en position de façon à se
précipiter vers la porte dès que celle-ci se trouverait en face de lui. Il
était près de bondir, mais à peine la porte se trouva-t-elle devant lui qu’elle
dépassa l’endroit à toute vitesse.
Mais cet échec ne fit que renforcer sa détermination. Il attendrait
le temps nécessaire, mais il profiterait du moment le plus opportun. Il guetta,
les muscles tendus, et quand il vit de nouveau la porte approcher, après avoir
calculé la vitesse du mouvement, il piqua la mule avec vigueur. Celle-ci bondit
sous l’effet de l’éperon, se jeta à travers la porte et se retrouva ainsi à l’intérieur
de la forteresse.
Gauvain se demandait quelle pouvait être cette étrange ville
qui se découvrait à ses regards. La mule l’emportait à vive allure à travers
des rues désertes. Il n’y avait ni homme, ni femme, ni être vivant. La mule s’arrêta
sous l’auvent d’une maison comme si elle avait l’habitude de s’y reposer. C’est
alors qu’un nain déboucha d’une ruelle obscure. Quand il fut parvenu au milieu
de la rue, il salua Gauvain en disant : « Bienvenue à toi, Gauvain, fils
du roi Loth d’Orcanie ! – Comment me connais-tu ? » demanda
Gauvain. Le nain ne répondit rien. Gauvain insista : « Et toi, nain, qui
es-tu donc ? Quel est ton seigneur, ou quelle est ta dame ? »
Mais le nain refusait toujours de répondre. Il disparut dans la ruelle d’où il
était venu. Gauvain mit pied à terre. Sous une arche, il remarqua un caveau
vaste et profond qui semblait s’enfoncer sous la terre. Il se pencha pour l’examiner
de plus près et vit, au sommet d’un escalier de pierre, surgir un homme d’une
taille démesurée, portant des vêtements de paysan, la barbe et les cheveux
hirsutes. Gauvain remarqua qu’il avait l’air maussade et cruel et qu’il tenait
une grande hache à la main. Cependant l’homme le salua poliment et lui dit :
« Je te trouve bien téméraire d’être venu jusqu’ici. Tu as vraiment
gaspillé tes pas, car tu n’obtiendras pas le frein que tu as promis de ramener.
Il est entouré de trop bons gardiens. Et si tu voulais l’obtenir, il te
faudrait
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