Les chevaliers de la table ronde
d’une
longue chemise blanche très échancrée et qui laissait apparaître la naissance
de ses seins d’une blancheur remarquable. Dès que Gauvain fut entré, elle se
leva et s’inclina devant lui : « Sois le bienvenu, Gauvain, dit-elle.
À cause de toi, il est arrivé de grands ennuis à mes lions, à mes serpents et
au chevalier qui me servait si fidèlement. Toutefois, il convient que tu manges
avec moi, maintenant, car jamais, en vérité, je n’ai connu un homme plus
courageux et plus vaillant que toi [55] . »
Ils s’installèrent tous deux sur le lit, qui était revêtu d’un
tissu de soie brodé de pierres précieuses. Le nain et l’homme hirsute leur
apportèrent de l’eau pour se laver les mains. Puis ils prirent place à une
table où on leur servit les plats les plus fins et les vins les plus délicats. La
dame se faisait de plus en plus aguichante et se pressait contre Gauvain. Et, pendant
qu’ils mangeaient, elle lui révéla que la jeune fille à la mule était sa propre
sœur, mais qu’elle n’avait nulle envie de lui rendre le frein. À la fin du
repas, elle dit à Gauvain : « Cher seigneur, pourquoi ne pas rester
avec moi ? Je mets à ton service ma personne et mes biens. Je possède
trente-huit forteresses comme celle-ci, et il ne tient qu’à toi d’en être le
maître. Ce serait un honneur pour moi d’avoir pour ami, et peut-être pour mari,
si tu le désires, un guerrier aussi valeureux que toi et tel qu’il n’y en a
point d’autre sur cette terre. »
La dame se faisait tendre et se penchait sur Gauvain, frôlant
son épaule et lui souriant d’un air prometteur. Gauvain, quelque peu enivré par
les bons vins qu’on lui avait servis, et fort sensible aux charmes de la dame, se
sentait près de succomber. Mais, brusquement, il se souvint des épreuves qu’il
avait vécues et qu’il avait surmontées avec tant d’audace. Il se leva. « Dame,
dit-il, la seule chose qui m’intéresse, c’est le frein que tu as dérobé à ta sœur,
la jeune fille à la mule. C’est pour me faire remettre ce frein que je suis
venu ici, et j’ai donné ma parole que je le ramènerai à sa propriétaire ! »
La dame vit bien que Gauvain était inébranlable. Avec beaucoup
de tristesse, elle lui dit : « Gauvain, tu es vraiment digne d’être
aimé. Regarde : le frein est accroché à ce clou d’argent sur le mur. Prends-le,
et va-t’en ! » Gauvain alla prendre le frein. Quand il se retourna, il
ne vit plus personne dans la chambre. Il sortit de la maison : tout était
vide, comme si la forteresse n’avait jamais été habitée. Il retrouva la mule
près de la porte et sauta sur son dos. La mule passa sans encombre le fossé, s’engagea
sur le sentier, franchit la planche de métal sur la rivière aux eaux noires, traversa
la vallée des bêtes rampantes, le bois des animaux rugissants et parvint très
vite devant la forteresse de Kaerlion sur Wysg. Le roi Arthur fut bien étonné
de voir son neveu, car il y avait à peine quelques instants qu’il était parti
pour cette expédition. Mais Gauvain, sautant à terre, alla vers la jeune fille
et lui tendit son frein. Alors celle-ci se mit à sourire et donna un baiser à
Gauvain. Les assistants étaient tout joyeux. Arthur dit à la jeune fille :
« Te voici satisfaite. Tu as obtenu ce que tu voulais grâce à ce preux
chevalier qui est mon neveu. Je serais très heureux et flatté si tu acceptais
de rester en notre compagnie. – Roi, répondit la jeune fille à la mule, c’est
une chose qui m’est impossible. » Sur ce, elle monta sur sa mule et lui
remit son frein. Puis, frappant légèrement l’animal qui bondit, elle se dirigea
vers la forêt et disparut à travers les arbres. Et, depuis ce jour-là, plus
personne n’entendit parler d’elle [56] .
5
Viviane
Merlin avait séjourné pendant un assez long temps auprès de
sa sœur Gwendydd, dans la forêt de Kelyddon, et il s’était entretenu bien des
fois avec le barde Taliesin, ainsi qu’avec l’ermite Blaise à qui il avait dicté
le récit des événements qui s’étaient déroulés dans le royaume de Bretagne. Merlin
avait également erré dans cette forêt qu’il aimait, et il avait chanté pour les
oiseaux et les bêtes. Il s’était reposé à l’ombre des pommiers, en compagnie du
loup gris avec lequel il avait vécu de durs moments aux temps où la folie s’était
emparée de son esprit. Puis, un jour, Merlin avait pris congé de
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