Les chevaliers de la table ronde
du sanglier touchèrent terre et,
dès lors, ni chien, ni homme, ni cheval ne purent le suivre avant qu’il ne fût
arrivé en Cornouailles. Avec sa troupe, Arthur finit par l’acculer dans une
vallée, près de la mer. Kaï, par un tour d’adresse prodigieux, en s’allongeant
tant qu’il le put, parvint à se saisir du peigne. Quant à Twrch Trwyth, on le
poussa à la mer et l’on ne sut pas, depuis lors, ce qu’il était devenu.
« Que nous faut-il encore ? demanda Arthur à ses
hommes. – Le sang de la sorcière Gorddu, répondit Kilourh, celle qui habite
près des confins de l’Enfer, dans le Nord. » Arthur partit pour le Nord et
arriva non loin de la caverne où résidait la sorcière. Il envoya Kaï et Bedwyr
se battre contre elle. Mais comme ils entraient dans la caverne, la sorcière
les vit, saisit Bedwyr par les cheveux et le jeta sous elle, sur le sol. Kaï
empoigna à son tour la sorcière par les cheveux et réussit à dégager Bedwyr. Mais
elle se retourna contre Kaï, le martela de coups de poing et le jeta dehors. Arthur
était furieux de voir ses hommes ainsi maltraités. Il envoya Gauvain et Yder. Mais
ils reçurent encore plus de coups que les deux premiers. Alors, Arthur se
précipita sur la porte de la caverne et, du seuil, il lança son couteau sur la
sorcière. Il l’atteignit au milieu du corps et en fit deux tronçons. Aussi Mabon,
fils de Modron, recueillit le sang de la sorcière et le garda.
Alors, Kilourh, accompagné de Goreu, fils de Kustennin, et
de tous ceux qui voulaient du mal à Yspaddaden Penkawr, s’en alla à sa
forteresse. Tous les travaux qu’avait demandés Yspaddaden avaient été réalisés,
et tous les objets qu’il avait réclamés avaient été rassemblés. Merlin vint le
raser et lui enleva chair et peau jusqu’à l’os, d’une oreille à l’autre
entièrement. « Es-tu rasé entièrement, homme ? demanda Kilourh. – Je
le suis, répondit Yspaddaden Penkawr. – Ta fille est-elle à moi, maintenant que
tout est en ordre ? – Elle est à toi, et tu n’as nul besoin de me
remercier. Remercie Arthur et ses compagnons qui te l’ont procurée. De mon
plein gré, tu ne l’aurais jamais obtenue. Et je sais que le moment est venu
pour moi de perdre la vie. »
Goreu, fils de Kustennin, saisit Yspaddaden Penkawr par les
cheveux, le traîna après lui jusqu’à la tour, lui coupa la tête et la plaça sur
un poteau dans la cour. Puis il prit possession de la forteresse en vertu du
fait qu’il était le neveu d’Yspaddaden Penkawr et que celui-ci avait tué ses
vingt-trois frères. Cette nuit-là, Kilourh coucha avec Olwen, et il n’eut pas d’autre
femme durant toute sa vie. Quant aux autres, ils se dispersèrent pour rentrer
chacun dans son pays. Et Arthur, accompagné de Kaï, de Bedwyr, de Gauvain et de
Merlin, s’en retourna jusqu’à sa forteresse de Carduel, où il retrouva avec
joie son épouse, la reine Guenièvre [112] .
8
Le Pèlerinage de Merlin
Merlin avait grande hâte de retrouver Viviane en la belle forêt
de Brocéliande, abondante en vallons ombragés et en sources d’eau claire. Il
prit congé du roi Arthur et s’en alla par la mer jusqu’en Bretagne armorique. Il
ne mit pas longtemps à parvenir au lieu où se tenait Viviane. Celle-ci fut tout
heureuse de le revoir, car elle l’aimait sincèrement, bien qu’elle se méfiât de
lui. Elle craignait en effet que le devin n’utilisât ses sortilèges pour abuser
d’elle et lui ravir son pucelage. Car Viviane était vierge et entendait bien le
rester tant qu’elle n’aurait pas la certitude que Merlin l’aimait réellement. Un
jour, elle lui avait dit : « Merlin, puisque tu prétends m’aimer plus
que nulle femme au monde, jure-moi de ne jamais faire, par enchantement ou par
autre façon, quoi que ce soit qui puisse me déplaire. » Et Merlin avait
fait le serment. Mais il se sentait toujours plus amoureux et pressait Viviane
de répondre à son désir. « Plus tard, répondait-elle, quand le moment sera
venu. » En attendant, elle demandait à Merlin de lui enseigner toujours
plus de secrets, et lui, qui savait bien où elle voulait en venir, mais qui n’osait
rien faire qui pût la fâcher, les lui révélait au fur et à mesure, en prenant
toutefois bien soin de limiter leur efficacité.
La jeune fille se rendait bien compte qu’il hésitait à lui
transmettre certaines connaissances : aussi flatta-t-elle Merlin le plus
qu’elle pouvait, lui
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