Les chevaliers du royaume
cavalcades et, partout, une odeur de sueur et de sang, mélangée à la peur, une odeur de foudre chargée de violence, dont il s’enivra.
Loin de terroriser les Maraykhât, la vue de la Vraie Croix les fit se jeter sur Simon, qui, plein de folie téméraire, la leva en criant :
— Montjoie ! Montjoie !
Puis il courut sus à ceux qui le chargeaient et asséna un tel coup dans la poitrine d’un cavalier, qu’il le vida de ses étriers.
— Gloria, laus et honor Deo in excelsis ! hurla Simon plein de joie.
Il s’était éloigné de Cassiopée, qui, voyant cavaler un éléphant vers lui, s’exclama :
— Quel idiot ! Il va se faire tuer !
Simon, tout à sa victoire, n’entendit pas l’éléphant qui venait sur son flanc. Curieusement, il n’avait pu s’empêcher de regarder la croix au-dessus de lui. Isolé du reste du monde, il ne pensait plus qu’au Christ. Il n’y avait plus aucun bruit, plus aucune odeur : il n’y avait que Dieu, Jésus et une plume de perroquet.
Une plume de perroquet ?
Simon reprit ses esprits et vit s’envoler, dans un formidable bruissement d’ailes, les derniers perroquets de l’oasis, dont l’un avait perdu une plume. La suivant des yeux, Simon aperçut à deux lances de lui un rectangle gris, surmonté d’une sorte de panier en paille tressée, d’où trois archers tiraient des flèches. L’une d’elles se ficha dans le bois de la Vraie Croix, qui vibra dans ses mains. L’éléphant n’était plus qu’à quelques pas. Enfin, il leva sa trompe pour barrir, et l’abattit puissamment sur Simon, qui s’écroula, sonné. Puis la croix lui retomba sur la tête, lui faisant une troisième bosse au milieu du front. Il tendit la main pour la récupérer, lorsque l’éléphant enroula sa trompe autour et la souleva pour lui en fendre le crâne.
— Le diable ! s’écria Simon en roulant sur le côté. C’est le diable !
Il se releva avec l’énergie du désespoir et, bien que désarmé, se jeta sur l’éléphant. Il voulait l’escalader afin de récupérer la Vraie Croix – qu’il croyait entre les mains de Lucifer. Sur le dos de l’éléphant, debout dans le howdah, trois Maraykhât l’attendaient, le menaçant de leur kandjar. Ils avaient un étrange tatouage sur les mains : une toile d’araignée blanche, représentant en filigrane la main de l’Imam qui, par-delà la mort, guide ses enfants vers la gloire et le trépas.
C’est alors que Simon sentit qu’on le tirait en arrière. Il s’accrocha fermement aux courroies qui maintenaient la nacelle sur l’éléphant, refusant de céder avant d’avoir atteint le sommet de ce démon et de lui avoir repris la Vraie Croix.
— Imbécile ! C’est moi ! fit une voix dans son dos.
C’était Taqi ad-Din.
Simon lâcha prise et se laissa tomber en arrière. Taqi le saisit par la cotte de mailles, et, dans un élan du bras qui dénotait une force proprement incroyable, le hissa sur sa selle et partit au galop.
— La Vraie Croix ! gémit Simon, alors que l’éléphant se servait du patibulum pour frapper de droite et de gauche les Moniales qui l’attaquaient.
— Plus tard ! cria Taqi.
Il talonna son cheval de plus belle, laissant l’éléphant loin derrière, tandis que Cassiopée couvrait leur retraite en tirant à l’arbalète, privilégiant les archers debout dans le howdah plutôt que l’éléphant lui-même.
Guillaume fouilla dans un coffret empli de fioles de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et en tendit une verte à Morgennes :
— Buvez-la quand vous combattrez les Maraykhât. Cela empêchera votre sang de couler…
Puis, lui donnant une autre potion, jaune cette fois-ci, il ajouta :
— Celle-ci guérit du poison. C’est un breuvage proche de celui qui me maintient en vie, sauf qu’il n’a pas besoin d’être pris quotidiennement s’il est ingurgité dans le moment qui suit l’empoisonnement.
Guillaume abaissait le couvercle du petit coffre à potions, quand il eut un instant d’hésitation et le releva brusquement :
— Vous pourriez également avoir besoin de celle-ci…
De couleur bleue, elle cicatrisait les blessures et redonnait des forces. Guillaume allait une nouvelle fois rabattre, puis rouvrir le couvercle du coffre, quand il le claqua d’un coup sec :
— Oh, et puis prenez tout ! Je n’ai pas le temps de vous expliquer à quoi les autres potions servent, mais vous trouverez à l’intérieur un parchemin avec tous les
Weitere Kostenlose Bücher