Les chevaliers du royaume
d’oiseaux s’envolèrent, gagnant à tire-d’aile le refuge du ciel. Le poitrail des éléphants était comme un éperon de navire, qui trace sa route dans une mer agitée sans se soucier de la tempête – puisqu’il est la tempête. Leurs pattes étaient des maillets de Titan, qui maculaient leur peau grise de motifs horribles quand elles écrasaient les Moniales, dont le sang jaillissait en une écume bouillonnante. Leurs défenses étaient deux formidables sabres, et beaucoup devaient secouer la tête pour se débarrasser des soldates qui s’y trouvaient empalées. Enfin, ils avançaient, impavides, et derrière eux marchait le reste des Maraykhât, l’odieuse infanterie armée de piques barbelées qu’on avait mises à tremper trois nuits durant dans les excréments, pour les empoisonner.
S’éloignant aussi vite que possible de ce tumulte, Yahyah parcourut les grottes à la recherche de Morgennes. Il fallait le prévenir ! Où était-il passé ? Brusquement, alors que le combat faisait rage, il tomba nez à nez avec Massada, encadré par deux Moniales. Elles ne le quittaient pas d’une semelle, bien qu’il fût enchaîné.
— Vous ! s’exclama Yahyah.
— Toi ! fit Massada.
Babouche (qui avait suivi Yahyah) grogna, gronda, tourna avec passion autour de Massada, et lui mordilla les chevilles.
— Yahyah ! implora Massada. Il faut me comprendre, je n’avais pas le choix, je…
Yahyah lui cracha à la figure :
— Je ne veux plus vous voir ! Je ne veux même plus entendre parler de vous, vous n’existez plus !
Puis il prit Babouche dans ses bras, et se laissa couler au bas d’une échelle de cordes.
— Attends ! hurla Massada. Ne me laisse pas avec elles ! Tu ne sais pas ce dont elles sont capables ! Je les connais !
Mais Yahyah ne l’entendait déjà plus. Pourtant, Massada continuait :
— Je suis faible ! Je suis lâche, c’est vrai ! J’ai eu peur, je le reconnais, mais je ne veux pas mourir ! ! !
D’un violent coup de lance entre les jambes, l’une des Moniales le fit tomber par terre, et lui lança :
— Silence !
Massada se redressa péniblement sur ses rotules endolories, et regarda ses mains. La peau avait bruni, les ongles étaient tombés. Reconnaissant les premiers symptômes de sa maladie, il se mit à pleurer.
Morgennes suivit Yemba et Guillaume dans les profondeurs du temple, là où les galeries s’enfonçaient dans la roche, comme les racines d’un arbre gigantesque.
— On arrive bientôt à la mine ? demanda Morgennes.
— Chaque chose en son temps ! répondit Guillaume.
— Comme il est dit dans Matthieu, poursuivit Yemba : « Qui ne prend pas sa croix à ma suite n’est pas digne de moi. »
Puis, pour ajouter du poids à cette réplique, il lui flanqua une claque sur l’épaule, à l’endroit non seulement de son ancienne blessure, mais aussi là où Morgennes avait appuyé la lourde croix de bois, la Vraie Croix, qu’ils venaient de détacher.
Un mécanisme dissimulé dans un détail de la dernière mosaïque – derrière les mains jointes de Sophrone et de Marie – permettait par un ingénieux système d’engrenages, de poulies et de cordes, de la faire descendre. Morgennes l’avait récupérée. Elle pesait fort lourd, comme si le poids des ans s’était ajouté à sa masse.
Mais ce n’était pas l’unique préoccupation de Morgennes.
— Mon épée ! disait-il. Je ne peux pas partir sans elle !
— Vous l’aurez, le rassura Guillaume.
— Je veux vous montrer…, poursuivit Morgennes. J’ai réussi, je veux que vous voyiez les larmes d’Allah…
— Mais je vous crois. Autrement, vous ne seriez pas guéri… De toute façon, j’ai foi en vous.
— Nous y sommes ! s’exclama Yemba.
Morgennes regarda autour de lui : ils se trouvaient dans une immense bibliothèque. Son plafond disparaissait à des hauteurs insondables, accessibles uniquement par des échelles le long desquelles des augustiniens suspendus à des câbles se laissaient glisser.
— Quoi ! fit Morgennes. C’est ici ? La mine ?
— Oui, dit Guillaume. Pourquoi, cela n’en a pas l’allure ?
Morgennes ne répondit rien. Il se contenta de poser la croix contre un immense panneau de bois, creusé de milliers d’ouvertures, recelant chacune un parchemin. Une étiquette attachée par une ficelle permettait d’identifier d’un coup d’œil la nature du rouleau, son origine, son contenu. Ailleurs, des jarres
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