Les chevaliers du royaume
voulu, en attaquant de manière aussi maladroite, aussi précipitée, aussi orgueilleuse, forcer la main de Dieu. L’obliger à l’aider. Il aurait mieux fait d’écouter les paroles du Prophète (la paix soit sur Lui) : « Celui qui sous-estime l’ennemi s’illusionne sur ses propres forces, et c’est déjà une faiblesse. »
Lentement, avec d’infinies précautions, Saladin déroula son tapis de prière et demanda à Allah de lui pardonner. Promettant que le prochain assaut serait le bon, et que, cette fois-là, il livrerait une bataille digne de chacun des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu.
La prière terminée, Saladin se sentit l’âme en paix. Il ne servait à rien de se précipiter. Dieu avait tout prévu. Il caressa d’une main distraite le pelage de Majnoun, sa panthère, et se resservit une tasse de thé pour s’aider à réfléchir. Aspirant une gorgée du liquide brûlant, il se demanda que faire. S’il recommençait demain, au même endroit, les troupes de Balian seraient toujours aussi bien organisées qu’aujourd’hui. Non, Dieu voulait autre chose. Un projet inédit. Il lui fallait trouver un nouveau secteur par où attaquer. Le midi le plaçait trop en contrebas, ce qui n’était pas une position confortable pour un siège. L’ouest était fortement défendu par la tour de David et la citadelle des rois de Jérusalem ; quant à l’est, il y avait certes le mont des Oliviers qui le plaçait en hauteur par rapport à la ville, mais un profond ravin le séparait des murailles.
Songeur, il convoqua son état-major et débattit la nuit durant de la tactique à adopter. Il fallait changer de position, mais pour aller où ?
De son côté, Balian n’était point mécontent de ses succès. Des gens d’Héraclius, venus lui prêter main-forte (en fait l’espionner), avaient même salué son courage et son ingéniosité. À ceux qui lui demandaient quel était son secret, Balian répondait : « S’élancer tête baissée au combat réconforte le cœur. » Et tous de trouver cela fort sage. Ils ne savaient pas que Balian se contentait de citer le Prophète et de suivre ses recommandations. Car, tout autant qu’un formidable meneur d’hommes et un grand chef d’État, le Prophète avait été, d’abord, un soldat. Un conquérant dont les pensées avaient été consignées dans plusieurs ouvrages, auxquels les Mahométans se référaient toujours. Balian avait jugé essentiel de les connaître, et se les était fait traduire en deux exemplaires par Guillaume de Tyr, un pour lui, l’autre pour son ami Guillaume de Montferrat.
Le lendemain se passa sans nouvel assaut des forces de Saladin, le sultan attendant un signe du Très Haut. Seules les armes de siège pilonnèrent la ville à intervalles réguliers, ponctués de périodes de calme au moment des prières. Les Sarrasins n’hésitaient pas à envoyer, en même temps que des pierres et des tonneaux de poix, des cadavres de chrétiens récupérés au bas des murailles – qui s’en allaient rebondir sur les toits – ou les excréments de leurs troupes – recueillis dans des vases que l’on vidait dans des tonneaux, chargés ensuite au bras des catapultes.
Jérusalem souffrait. Les morts se comptaient par milliers. On eut à déplorer plusieurs incendies, ainsi que l’aplatissement d’un jeune couple par un rocher ayant traversé le plafond de leur chambre alors qu’ils faisaient l’amour. Ce couple n’étant pas encore marié, cela terrorisa ceux qui – la mort approchant – avaient souhaité connaître les plaisirs de la chair sans s’unir d’abord devant Dieu.
D’ailleurs, les chanoines pressaient les Hiérosolymitains de cesser toute activité sexuelle, Dieu n’aimant pas que l’on fornique dans l’adversité.
Le lendemain du second soir, le 22 septembre donc, la journée écoulée ressemblant assez à la précédente, Balian fut convié à dîner à la tour de David. Il s’y rendit avec Algabaler et Daltelar, desquels on avait finalement su tirer le meilleur.
Le repas qui fut servi était somptueux, et, n’était le fracas des pierres dans les quartiers nord, on se serait cru en temps de paix. Héraclius interrogea Balian sur les raisons de son succès.
— En matière de siège, expliqua Balian, il n’est de véritable réussite que lorsque votre adversaire se retire, ce qui est loin d’être le cas. Néanmoins, il est vrai qu’on aurait pu s’attendre à pire, étant donné le peu de
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