Les chevaliers du royaume
gagner les remparts, profitant du plus petit angle mort – ou moins bien défendu. Certains parvenaient à y poser leurs échelles ou à en approcher de lourdes tours de bois – contre lesquelles les défenseurs tiraient des flèches enflammées. Mais les tours avaient été protégées par des peaux de bêtes et des cordages aspergés de vinaigre, et le feu prenait mal. L’une d’elles, cependant, qui avait reçu à son sommet la pierre d’une catapulte, bascula vers l’arrière et s’effondra. Terrorisés par le fracas de bois brisés, les Sarrasins qui la servaient se jetèrent dans le vide et s’empalèrent sur les piques de leurs camarades. Par centaines, des archers à cheval faisaient pleuvoir une nuée de flèches sur les murailles de Jérusalem ; mais celles-ci n’étaient pas, comme les hommes, capables de reculer. Elles restaient immobiles ; et, si leurs protecteurs venaient à mourir – de minuscules ailes noires plantées dans la poitrine –, d’autres prenaient aussitôt leur place, poussant de grands cris, crachant des injures, bavant comme des bêtes, faisant des gestes obscènes, jetant des pierres, des sacs, des chaises, des bancs, enfin, tout ce qui leur tombait sous la main – y compris leurs vêtements, chemise, bottes, chapeau, ceinturon. Parfois, pris de folie, c’était un camarade, hurlant s’il n’était que blessé, silencieux s’il était mort, qu’on propulsait par-dessus les remparts. Ceux qui ne jetaient rien tiraient à l’arc ou à l’arbalète, et ceux qui n’avaient rien à lancer, pour ne pas être en reste, crachaient par-dessus les créneaux ou y grimpaient pour montrer leurs fesses aux Sarrasins.
À la tombée du soir, les troupes de Saladin reculèrent, sans avoir réussi à passer la porte de Damas. Quelques vaillants guerriers étaient bien parvenus à poser le pied sur les remparts, mais les Hiérosolymitains avaient, avec de longues perches, renversé leurs échelles. Ces braves avaient péri en martyrs, tâchant d’emporter dans leur mort le plus de chrétiens possible, laissant un cercle de cadavres autour d’eux.
Balian lui-même, malgré ses blessures, avait tranché d’un violent coup d’épée la gorge d’un de ces audacieux.
— Combien de guerres, combien de combats, devrai-je encore voir avant de mourir ? se lamentait-il.
Il était las de ces combats.
Les hommes pour lesquels il se battait le rebutaient un peu. Beaucoup étaient gras et ne défendaient pas, comme lui, la cité de Dieu mais plutôt leur commerce, leur maison, leur famille. « Et après tout, pourquoi pas ? » se disait Balian, qui pensait cependant : « Un commerce, une maison, une famille, cela se déplace. Le Saint-Sépulcre, non. »
Il n’acceptait pas qu’on puisse avoir pour sa boutique le même amour que celui qu’il avait pour le lieu où le Christ avait tant souffert.
Voyant reculer les troupes de Saladin, il donna l’ordre d’arrêter le combat. Et, quand le soleil se coucha, il comprit un fait d’extrême importance, et qui expliquait – en partie – l’échec des Mahométans : ils s’étaient battus, la journée durant, le soleil dans les yeux. Leurs adversaires n’avaient été pour eux que des taches sombres sur un panneau lumineux. Les cibles avaient été plus dures à ajuster, les hommes plus difficiles à viser, les distances pénibles à estimer. Surtout, on clignait des yeux au mauvais moment, alors qu’il eût mieux valu regarder devant soi. Pour éviter un projectile ou un coup d’épée.
« Saladin a commis une erreur ; il ne la commettra pas deux fois. »
Dans sa tente, Saladin ruminait. Alexandre, dont il avait lu les écrits, l’avait pourtant bien dit : « Si tu te trouves en guerre, arrange-toi pour que le soleil et le vent soient avec toi et non contre toi. » Trop impatient, quasi certain que Dieu était de son côté et que la ville demanderait à se rendre dès que ses troupes l’attaqueraient, Saladin avait voulu faire une entrée triomphale par la porte de Damas. Mais Dieu en avait décidé autrement, et avait opposé à l’assaut de ses troupes la résistance d’un cœur vaillant.
« Pourquoi Dieu m’éprouve-t-Il ainsi ? Suis-je donc pour Lui comme ce pauvre Job ? Ne sait-Il donc pas ma piété, l’amour que je Lui voue ? Ne mesure-t-Il pas à quel point je fais tout cela pour Sa gloire ? Quelle faute ai-je commise, pour qu’il me retire ainsi Son soutien ? »
Puis il comprit. Il avait
Weitere Kostenlose Bücher