Les chevaliers du royaume
appliqués dans la journée à agrandir encore, de façon à y faire s’effondrer les murailles.
Un mot de Taqi, et ils mettraient le feu aux nombreux tonneaux de soufre et de salpêtre placés à des points stratégiques sous les fondations. Le stratagème, s’il réussissait, permettrait d’ouvrir la ville à l’est, et d’en offrir l’accès aux troupes de Saladin – qui passeraient sur les débris des murailles, venus combler le gouffre au-dessous d’elles.
— Attends notre retour avant de tout faire sauter, suggéra Morgennes.
Taqi rit de bon cœur :
— La paix soit sur toi, mon frère ! Puisses-tu réussir dans ton expédition !
— Merci, mon frère.
Les deux amis s’étreignirent une dernière fois, puis Morgennes et Simon pénétrèrent sous la ville. À l’entrée de la mine, deux gardes tués pendant leur patrouille témoignaient du récent passage des mamelouks de Sohrawardi. Taqi et les siens les avaient alignés contre les parois des galeries creusées dans le sous-sol de Jérusalem, qui serait leur tombeau.
Simon tenait entre ses mains la tête de Rufinus qui, apprenant leurs projets, avait tenu à les accompagner : « Je saaaais oùùùù mènent les souterraaains qu’ils ont trouuuvés ! »
En effet, alors qu’ils creusaient de profondes tranchées et les étayaient de contreforts auxquels ils mettraient le feu le moment venu, les faisant s’effondrer, les sapeurs avaient mis au jour de très anciens boyaux, aux parois décorées de dessins antiques. Beaucoup semblaient bien antérieurs à la venue du Christ, et illustraient des scènes dont les héros étaient d’anciens dieux : hippopotames à mains humaines portant des torches, nains à crinière en guise de cheveux, femmes dotées de bras en forme de serpents, chevaux sans tête debout sur deux jambes, chèvres dont les pis étaient remplacés par des mains, androsphinx ricanants… À leur vue, les sapeurs s’étaient empressés de baiser la main de Fatima qu’ils portaient en médaillon à leur cou, et étaient repartis, le plus révérencieusement possible – c’est-à-dire à toute allure.
— Les souterraiiiins de la Mooooriah n’ont pas de secreeeets pour mooooi ! ajouta Rufinus.
La Moriah. Ainsi s’appelait la colline sur laquelle avaient été bâtis le dôme du Rocher et, il y a fort longtemps, le Temple du roi Salomon – où vivaient maintenant les Templiers. La légende disait qu’ils y avaient découvert les plus sacrés des trésors de l’humanité, dont l’Arche d’Alliance, et les Tables de la Loi. On racontait aussi qu’elle était si truffée de puits et de galeries s’entrecroisant à différents niveaux qu’il fallait sept jours pour la traverser de part en part, et qu’une vie entière était à peine suffisante si l’on voulait en percer les mystères.
— C’est le meiiilleur moyeeen d’entrer dans la viiille, ouiiii, baragouina Rufinus. Maiiis c’est aussiii le plus dangereuuux, ça c’est sûûûr… Il y a plein de pièèèges. Des puiiits sans fooooond, des pieeeeux empoissoooonnés, des maaaléfiiiiices, touuutes sooortes de choooses mauvaaaaises…
Alors qu’ils s’en allaient, Massada s’approcha en boitillant de Morgennes. Il avait un cadeau à lui remettre :
— C’est une touffe de poils de Carabas que j’avais gardée avec moi… J’espère qu’elle te portera chance, dit-il d’une voix empreinte de tristesse.
Simon salua Massada de loin, tandis que Morgennes prenait la touffe de poils et la mettait dans son aumônière.
— Merci, Massada.
Contre toute attente, il serra le petit homme sur son cœur :
— Tu m’as trahi, tu as fait bien des choses ignobles, mais aujourd’hui tu as payé… Va en paix, si tu peux…
Puis il partit. Massada le regarda s’éloigner, les yeux pleins de larmes. Il eut alors un geste irrépressible, dont il ne se rendit pas compte sur le moment : il avait fait un signe de croix.
*
— Je ne comprends pas, dit Ridefort, ce qui est passé par la tête d’Héraclius…
— Ses rêves de gloire, répondit Châtillon. Mais comme toujours avec lui, sa lâcheté a fini par gagner. Enfin, nous avons maintenant la Vraie Croix, c’est l’essentiel. Vous me ferez penser à remercier Morgennes.
En effet, à ses côtés, Kunar Sell tenait dans ses bras la Vraie Croix – du moins celle que Morgennes avait remise à Balian d’Ibelin.
Peu après être rentré en ville, et malgré l’heure tardive, Balian
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