Les chevaliers du royaume
et tournait sur lui-même, levant les bras pour que Taqi vît ses doigts.
Taqi appela l’un de ses hommes, qui portait une torche :
— Toi là-bas, viens par ici ! Éclaire-moi cet individu !
Le soldat du Yazak abaissa son flambeau vers Massada, montrant à tous quel hideux visage il avait. Mais ce qui intéressait Taqi, ce n’était pas qu’il fût malade : c’était qu’il le fût moins. Déjà, ses doigts avaient rosi, et sur son visage ses plaies semblaient se refermer, ses lèvres retrouver leur chair.
— La barbe du Prophète ! s’exclama Taqi. Comment est-ce possible ?
— C’est Morgennes, dit Massada. C’est Morgennes. Il m’a touché ! Il m’a pris dans ses bras et il m’a guéri !
Taqi s’éveilla comme d’un long songe et dit à ses hommes :
— En avant ! Nous n’avons pas un instant à perdre !
Les hommes du Yazak se perdirent dans la nuit des murailles de Jérusalem. Massada s’éloigna, divaguant, regardant les nuages s’assembler dans le ciel.
Le Juif ne le savait pas encore, mais il s’était converti.
*
— Touuuurnez à droooite, vociféra Rufinus alors qu’ils arrivaient à une bifurcation, la neuvième depuis qu’ils erraient dans les profondeurs de la ville, à la recherche d’un escalier leur permettant d’en regagner la surface.
Simon sentait le céphalotaphe vibrer dans ses mains à chacune des paroles de Rufinus ; ce qu’il trouvait fort désagréable. En outre, il était las et désorienté. Il lui semblait qu’ils tournaient en rond :
— Ne sommes-nous pas déjà passés par ici ? demanda-t-il, inquiet.
— Noooon, c’est la premièèère fois…
Pourtant, ces visages, ces gravures, ces bas-reliefs, il lui semblait les avoir déjà vus. C’était partout les mêmes processions de corps immondes, prêtres humains d’un autre temps auxquels on avait joint, là une tête de taureau, ici une tête de faucon, de chat ou d’ibis. Ils avaient les yeux étonnement luisants, et toujours ces expressions dont on ne savait ce qu’elles étaient le plus : terrifiantes ou terrifiées.
— Rufinus, dit Morgennes, cela fait plusieurs heures que nous tournons en rond. Es-tu bien sûr de savoir où tu vas ?
— Certaaaain, fit Rufinus. Si c’est looong, c’est que…
Mais il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Morgennes avait aperçu, au sommet d’une pyramide de squelettes, une forme qui se détachait, immobile et sombre.
C’était une femme, entièrement vêtue de noir. Morgennes marcha vers elle, écartant les ossements avec son épée. Crucifère brillait dans l’obscurité, faisant reculer les ombres. Morgennes escalada la funeste colline en s’aidant de sa lame comme d’un bâton, la fichant ici dans un crâne, là dans une cage thoracique.
Les squelettes étaient des plus inquiétants. Des reliquats de vêtements étaient accrochés à leurs membres, et une mousse étrange – végétation des profondeurs – tapissait leurs parties concaves. Des filaments de couleur brune recouvraient en partie leurs os, s’agitant sous les pas de Morgennes comme sous une brise d’automne, dispersant un fin voile de particules au fur et à mesure de sa progression. Arrivé au sommet, il posa la main sur l’épaule de la jeune femme, et un râle sortit du hijab.
Une Mahométane ? Que faisait-elle ici ?
— Vous allez bien ?
Morgennes se demandait par quel sortilège elle était arrivée là. Un gémissement lui répondit, lui apportant deux informations de grande importance : cette femme était en vie ; et ce n’était pas une femme.
— Al-Afdal ?
Nouveaux râles, plus forts cette fois-ci, suivis d’un tremblement du corps. Enfin, la chance était avec eux ! Impossible autrement. La chance, et Dieu. En quête de leur route pour regagner la ville, ils venaient de tomber sur celui qu’ils cherchaient. Les habitants de Jérusalem seraient donc épargnés.
Morgennes pourrait rentrer chez lui ! Tout était pour le mieux.
Il se tourna vers Simon, resté en contrebas de la montagne de morts.
— Simon ! Par ici !
Simon posa Rufinus à ses pieds, et entreprit l’escalade de la macabre pyramide.
Rufinus, resté seul, regarda autour de lui. Les morts étaient partout. Il connaissait cette salle. On lui donnait le nom de « grande chambre mortuaire », bien que les souterrains en eussent plusieurs, dont certaines cent fois plus vastes. De nombreuses galeries permettaient aux prêtres qui officiaient ici
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