Les chevaliers du royaume
opaque.
« De la poix ? » s’interrogea Morgennes. Mais cela paraissait bien trop fluide. En fait, on aurait dit un gigantesque œil noir, liquide et légèrement bombé. Parfois, le rocher s’y réfléchissait, lui conférant l’aspect d’une petite lune noire.
« Serait-ce la porte des Enfers ? »
— Où sommes-nous ? demanda Morgennes.
— Dans la matrice de toutes les Églises, répondit Châtillon.
Il venait d’entrer dans la grotte, par l’escalier diamétralement opposé. Rehaussée par l’éclat des dizaines de cierges, Sang-dragon paraissait écarlate. Plusieurs hommes, à pied, suivaient – dont les Templiers blancs. L’un d’eux, Kunar Sell, tenait la croix tronquée que Morgennes avait remise à Balian d’Ibelin. Soudain, la jument renâcla, et tapa du sabot sur les dalles. Châtillon la calma d’une caresse, murmurant :
— Patience, ma belle, patience !
Puis il se tourna vers Morgennes et reprit :
— Tu penses que cet endroit appartient aux Mahométans ? Allons, il n’appartient même pas aux chrétiens ! Mais c’est ici que venaient se cacher les premiers prêtres quand ils voulaient échapper aux persécutions des Romains, des Juifs ou des païens… Dès sa naissance, la chrétienté a dû se réfugier dans les catacombes. Ici plus qu’ailleurs on les laissait tranquilles : aux portes de l’enfer de toutes les religions !
— Alors, tout est comme au premier jour, dit Morgennes. Vous avez l’émissaire du pape, des Templiers au cœur pur et même la Vraie Croix…
— Et je t’en remercie ! Nous avons aussi l’agneau sacrificiel, ajouta Châtillon avec un geste en direction d’al-Afdal. Car, dans ma grande bonté, j’ai décidé d’accorder une dernière chance à Dieu : en lui offrant ce à quoi son pire ennemi tient le plus, je lui donne l’occasion de se racheter. En venant nous sauver !
— Dieu ne viendra pas, dit Morgennes.
— Alors, nous jetterons la Vraie Croix en enfer !
— Et ce sera l’Apocalypse, c’est ça ?
— La fin des temps ! La venue de la Jérusalem céleste, enfin ! Adveniat regnum Tuum ! Que Ton règne arrive ! Fiat voluntas Tua sicut ! Que Ta volonté soit faite ! Et que tous les démons des Enfers attaquent la terre. Alors, on verra bien qui sont les preux, qui sont les couards. On verra bien qui est aimé de Dieu, qui ne l’est pas.
— Laisse partir l’enfant ! l’apostropha soudain Simon en s’approchant dangereusement de Châtillon. Vos vies seront épargnées !
— Mais nous sommes déjà morts, petit Simon. Toi, moi, Morgennes, l’enfant, son père… Cela fait si longtemps que nous ne devrions plus être là… Tu ne vois pas ? Nous sommes dans un autre monde…
— Alors, pourquoi ne pas commencer par la fin, par l’Apocalypse, justement ? le défia Morgennes. Si tu tiens tant que ça à être jugé, si la mort ne te fait pas peur, prouve-le, meurs ! Ou jette la Vraie Croix en enfer ! Et, si rien ne se passe, abandonne.
Châtillon fit faire quelques pas à sa monture, et s’approcha de Kunar Sell.
— C’est cela que tu veux, Morgennes ? Que je jette la Vraie Croix en enfer ? Toi non plus, l’Apocalypse ne t’effraie pas ?
— Je n’ai pas peur du jugement divin.
— Entendu, fit Châtillon. S’il ne se passe rien, je renoncerai à mes projets.
Il prit la croix tronquée des mains de Kunar Sell, et s’avança vers le puits de noirceur, qu’il appelait la porte des Enfers. Un silence étonnant régnait dans la caverne, où tous avaient cessé de respirer. Wash el-Rafid avait lâché al-Afdal, qui s’était écroulé, inconscient.
Alors que Châtillon scrutait l’onde à la recherche d’un signe, d’une ride qui en aurait signalé l’appétit, Simon – que deux Templiers blancs tenaient par les bras –, n’en pouvant plus, s’écria :
— Ce n’est pas la Vraie Croix !
Morgennes le regarda, furieux. Était-il devenu fou ? Simon baissa les yeux, n’osant affronter son regard.
— Que dis-tu là ? hoqueta Châtillon, étonné.
— Ce n’est pas la Vraie Croix ! Vous ne réveillerez rien du tout ! ajouta Simon. La Vraie Croix est partie pour Rome, vous avez échoué !
— Qu’est-ce qui me prouve que tu dis la vérité ?
Simon regarda fixement Châtillon dans les yeux, serra les poings et poursuivit :
— C’est la croix de Hattin ! Morgennes a voulu vous duper !
*
Taqi se releva, et repartit vers sa jument. D’après
Weitere Kostenlose Bücher