Les chevaliers du royaume
Fatima.
— Tu es si belle, ma cousine. Ces ornements ne sont pas ta parure, c’est toi qui les embellis. Toi qui fais leur éclat, leur beauté…
— Taqi, souffla la jeune femme, arrête, tu me gênes.
— Je te gêne ? Mais je ne fais qu’effleurer ta vérité ; te dire belle c’est encore trop peu. Tu es un aperçu du paradis, et t’entr’apercevoir c’est déjà être sauvé. Tu es le plus précieux des reliquaires.
Incapable de la quitter des yeux, Morgennes rectifia, sans même s’en rendre compte : « Ou plus exactement la plus précieuse des reliques… »
Enfin, la jeune femme, ayant passé la chemise de Taqi et enfilé par-dessus ses propres vêtements, se dirigea vers un meuble et en sortit un céphalotaphe ; que Morgennes avait vu le matin même entre les mains de l’aveugle aux relents de bouc. La jeune femme tint le coffret serré contre elle, avec sur le visage quelque chose de triste et de résolu, que Morgennes ne s’expliquait pas.
— Prête ? demanda Taqi.
Elle hocha la tête, et ils s’en allèrent.
Morgennes décida de les suivre. Il patienta quelques instants, puis sortit à son tour, laissant derrière lui un paon tout ébouriffé.
6.
« Il est possible que vous ayez de l’aversion pour une chose qui est un bien pour vous. »
(Le Coran, II, 216.)
Morgennes avançait dans la nuit, ombre parmi les ombres, à l’écart des flambeaux. Sur les talons de Taqi ad-Din et de la jeune femme qu’il avait surnommée la Relique, il se faufila au sein du camp des Zakrad aussi discrètement que Renart, se cachant derrière un cheval, une tente, un chameau.
Les deux jeunes gens atteignirent une zone du camp où se trouvaient une quarantaine de chameaux montés par des bédouins, qui les attendaient avec impatience. Alors que les torches s’écartaient pour les laisser passer, un vieil homme d’une soixantaine d’années s’approcha de la Relique et de Taqi, une houlette à la main. Il la leva, et le silence s’établit.
— Écoutez-moi, dit le vieil homme, le regard enfiévré. Si vous ne menez pas à bien la mission que Saladin (la paix soit sur lui) vous a confiée, c’en est fini de nous ! Les dieux des vieilles nations tremblent ! Les hérétiques sont acculés ! Ils vont se révolter, et se liguer avec les chrétiens (la peste soit sur eux) ! Des hordes de démons jailliront des enfers pour vous combattre ! Mais Allah est le Seul, l’Unique Dieu ! Sa victoire sera totale, c’est écrit. Mais d’abord, Il veut vous éprouver : des obstacles terribles se dresseront sur votre route.
Désignant Taqi, il dit d’une voix qui grondait comme l’orage :
— Sur la tienne, noble Taqi ad-Din Umar, gouverneur d’Égypte, neveu de Saladin, les chrétiens et les chiites chercheront à t’arrêter, à te faire trébucher… Mais tu vaincras, car tu es un homme fort, intrépide et intelligent. Tu sauras percer à jour les déguisements de ceux qui se présenteront à toi, et voir le mal sous le masque du bien. À toi de décider ensuite des actions à entreprendre.
Se tournant vers la Relique, il murmura :
— Sur la tienne, Cassiopée, noble fille chérie que nous avons adoptée comme une seconde Fatima, se dresseront autant d’obstacles qu’il y a d’astres dans la constellation dont tu portes le nom. Les pires viendront de toi, de ton propre cœur, de tes doutes, de ton passé. Et il te faudra faire ce que tu t’es toujours refusée à faire : affronter ton destin.
— Je l’affronterai…, répondit la Relique, dont Morgennes venait d’apprendre le prénom.
— Je n’en doute pas, poursuivit le vieillard. Si tu parviens à mener cette chamelle à Bagdad, et à obtenir du Commandeur des Croyants (qu’Allah le protège et le garde) qu’il nous envoie des renforts, alors, nous te serons éternellement redevables. Ces défis, que Dieu – dans Sa très grande miséricorde – a placés sur votre chemin feront de vous des héros. C’est justement parce qu’il vous aime et que vous êtes Ses enfants préférés que ce sera si ardu. Allah ne facilite jamais la tâche de Ses élus. Au nom de l’ensemble des fils du désert qui ont suivi Saladin depuis l’annonce du jihad, soyez bénis tous les deux. Que les djinns vous soient favorables ! Que Dieu vous garde !
Ce vieillard à l’allure d’un berger était en fait le cheik des Muhalliq : Nâyif ibn Adid. On vantait moins sa valeur au combat, sa fidélité, sa patience, son
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