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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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frémir en les voyant ; mais c’étaient plus des frémissements de pitié que de crainte, tant l’enthousiasme que les oulémas montraient à agiter leur sabre s’accompagnait de la plus totale ignorance de ce que tuer voulait dire, de ce que vivre signifiait.
    Les moines soldats se levèrent et se dirigèrent vers Saladin en trébuchant dans leurs entraves. Ceux qui n’avaient pas la force de se déplacer s’appuyèrent sur l’épaule d’un ami ou furent soutenus par leurs camarades. S’il leur était arrivé d’être mis en déroute, de battre en retraite – une fois le reste de l’ost à l’abri –, jamais les Templiers ni les Hospitaliers ne s’étaient montrés faibles, jamais ils n’avaient failli. Les Mahométans les haïssaient pour leur courage, qu’ils jugeaient folie téméraire et qualifiaient de « suicidaire ». Les chevaliers du Temple et de l’Hôpital étaient une abomination dont il fallait se débarrasser à tout prix. On ne pouvait les corrompre, on ne pouvait les assimiler ni les attendrir. Au contraire, ils arrivaient même, parfois, à gagner le cœur des Sarrasins tant ils savaient se montrer charitables envers ceux qu’une juste piété animait. Saladin en venait à se dire qu’il aurait préféré avoir affaire à mille Renaud de Châtillon plutôt qu’à ces moines soldats, animés par une foi qu’il ressentait – quant à lui – en Allah : pleine d’amour et de crainte. En luttant contre eux, Saladin se battait contre un autre lui-même ; et il estimait qu’il n’existait pas d’adversaires plus redoutables. Eux aussi menaient une guerre sainte. Eux aussi se battaient au nom de Dieu. Sur le champ de bataille, leur cavalerie s’élançait la première, et fendait les rangs ennemis comme ces socs de charrue qu’on venait d’inventer. La plupart du temps, les Sarrasins n’attendaient pas le choc de leur charge : ils s’enfuyaient. Alors, une lance leur fendait la poitrine, et ils mouraient, les yeux écarquillés de terreur, traînés sur le champ de bataille par le galop d’un cheval que rien n’arrêtait. Épouvantée, la piétaille disparaissait sans demander son reste. Les chevaliers les plus habiles embrochaient une paire de gueux, puis laissaient choir leur lance et sortaient leur épée, faisant autour d’eux un grand vide sonore, hanté par des cris d’agonie.
    Les Sarrasins encerclèrent les chevaliers, et les oulémas mirent pied à terre, escortés par de nombreux hommes en armes. Saladin, son état-major et ses invités – parmi lesquels le roi de Jérusalem et la fine fleur de la noblesse franque – observaient l’attitude des oulémas : on aurait dit des goupils dans un poulailler, mais des goupils envoyés par le paysan lui-même.
    Morgennes entendit le jeune Templier murmurer :
    — Ô Dieu en moi ! Je dois être fort ! Gloria, laus et honor Deo in excelsis !
    Le pauvre était aussi blanc qu’un ventre de pucelle. Être tué sans armes, sans combattre, et par des civils, était, pour un moine soldat, la pire des humiliations.
    « Saladin a parlé d’un marché au cours de la cérémonie », se rappela Morgennes. Il fouilla du regard la foule des cavaliers, espérant y voir Taqi ad-Din ou Cassiopée. Mais ils n’étaient nulle part. En revanche, il entrevit Guy de Lusignan, Gérard de Ridefort et quelques autres nobles francs – mais pas le vieux marquis de Montferrat, ni Plebanus du Boutron, ni Onfroi IV de Toron. Avaient-ils perdu la vie au cours de la diversion mise en œuvre pour favoriser son évasion ? Morgennes sentit une douleur poindre en lui, ou plutôt s’installer dans son cœur et le pétrifier.
    Plus étrange était l’absence de Tughril, le jandar al-Sultân de Saladin : jamais il ne quittait son maître. Que lui était-il arrivé ? Était-il mort ? Saladin aurait dû alors en nommer un nouveau – ce qui ne semblait pas être le cas.
    Mais pour un nouveau mystère, un plus ancien s’expliqua. À ceux qui s’étaient demandé où était Raymond de Castiglione, le maître de l’Hôpital, la réponse venait d’être donnée : il était là, enchaîné, jeté tel un cadavre sur le dos d’un mulet.
    Saladin exultait. Quand il descendit de cheval, l’attention du millier de Sarrasins présents se focalisa sur sa personne et la fit grandir. Ce fut comme si les regards avaient sculpté l’air autour de lui et lui avaient conféré une dimension mystique sans rapport avec sa taille réelle :

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