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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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rigueurs du climat.
    D’humeur maussade, Sinan se servit un verre d’un vin épais, brillant et rouge comme du sang de nouveau-né, et appela d’une voix sèche deux de ses serviteurs. Il voulait une femme. Qu’ils aillent donc la lui chercher dans son harem. Une superbe sang-mêlé à la peau couverte de tatouages venait d’y être conduite. Il avait envie de la voir et de coucher avec elle. On la disait rebelle à toute autorité, farouche, et, surtout, d’une beauté de pierre précieuse…
    Tout pouvoir engendre son contre-pouvoir, tout remède son mal, tout mal son remède. Saladin essayait, comme les Assassins, de ne pas se faire remarquer. S’il se signalait, ce n’était pas – contrairement à ses prédécesseurs ou contemporains de même rang – par des débauches de palais, de harems et d’orgie, mais, à l’inverse, par une extrême rigueur, une grande piété et un mépris des richesses. Il était si pieux, si dévot, si fervent croyant, il se sentait tellement investi de sa mission, que le contraste heurtait ses égaux et supérieurs, tout en ravissant les foules.
    Saladin n’en avait cure, même si faire plaisir au peuple et choquer une caste dirigeante qu’il qualifiait de « décadente » n’était pas pour lui déplaire. Il pensait avoir le droit pour lui, sentait la main d’Allah l’aider dans son jihad, et quand – dans le doute – il demandait à Mahomet ou à Gabriel de bien vouloir l’éclairer, un rêve dans la nuit le renseignait sur la marche à suivre, les choix à arrêter.
    Saladin se trompait rarement, ou, s’il se trompait, c’était pour un plus grand bien que celui qu’il visait. Ainsi, quand il apprit que Morgennes s’était enfui, il eut un profond soupir accompagné d’un geste de la main qui signifiait : « Que voulez-vous que j’y fasse ? Si c’est ainsi, Dieu l’a voulu. »
    Sur la place du marché, le docteur al-Waqqar haussa un sourcil et pesta contre les dégâts provoqués par les bombes incendiaires lancées dans leur fuite par les Assassins, ces hommes aux manteaux gris.
    Tous en étaient désormais convaincus : ce massacre, s’il avait été aggravé par les soldats de l’atabeg, avait été causé par les Assassins. Al-Waqqar essuya de sa manche la sueur qui perlait à son front et se remit à l’ouvrage. Il se pencha sur un jeune homme dont les jambes avaient été atteintes par des projections de poix enflammée. Le liquide s’était agrégé à ses membres inférieurs, brûlé des pieds jusqu’au bassin. Le malheureux respirait encore. Entre deux sanglots, il ouvrit la bouche pour avaler de l’air mais ne parvint ni à parler ni à pousser le moindre cri. Il était comme éteint. Al-Waqqar lui passa un linge humide sur le visage. Ses sourcils aussi avaient brûlé. Sa chair avait fondu sur ses os, lui donnant un aspect de squelette. Al-Waqqar lui souhaita une mort rapide.
    Le docteur était perdu dans ses pensées, lorsqu’un bruit se fit entendre du côté de la ville basse : l’éminence grise de Saladin, le cadi Ibn Abi Asroun, montait avec son cortège d’huissiers, de scribes, d’officiers, d’oulémas… pour prendre la direction de l’enquête. Saladin n’avait pas attendu de recevoir le rapport de ce gros atabeg de Shams al-Dawla Turansha pour prendre l’affaire en main : Ibn Abi Asroun réglerait ça mieux que personne.
    Tous les témoignages concordaient. On avait vu une demi-douzaine d’hommes en gris, soupçonnés d’être des Assassins, ainsi que deux hommes en manteau blanc, qu’on savait être des Templiers (ou des Hospitaliers déguisés), venus pour acheter Morgennes. La présence de déserteurs de l’armée de Saladin fut également rapportée. D’après les premiers éléments de l’enquête, il s’agissait de bandits de la tribu des Maraykhât.
    Sous la conduite du cadi Ibn Abi Asroun, des oulémas s’empressaient auprès des blessés les plus atteints afin de les interroger avant qu’ils ne rendent l’âme. Des scribes prenaient leurs cris en note.
    L’enquête suivait son cours, mais, déjà, plusieurs éléments permettaient d’affirmer que l’affaire n’était pas simple, et que différentes parties – apparemment opposées – s’y trouvaient mêlées.
    Al-Waqqar ferma les yeux du malheureux jeune homme dont il avait lavé le visage, en se reprochant de n’avoir pas plutôt soigné une autre victime, qui devait être morte maintenant. Il s’était trop attardé. Il fit la

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