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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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grimace, se releva, et se dirigea vers un nouveau blessé, espérant le sauver. Non loin de là, des soldats jetèrent des cadavres dans une charrette pour les conduire hors de la ville. On redoutait les épidémies, et il fallait évacuer les morts au plus vite. Les familles iraient reconnaître les leurs à l’extérieur des murs de Damas, s’il y avait quelque chose à reconnaître ; sinon la dépouille irait à la fosse commune.
    Le corps dont al-Waqqar s’approcha était de taille démesurée, quasi inhumaine. C’est du moins ce qu’il se dit quand il le vit, allongé sur deux ou trois autres cadavres, qu’il recouvrait presque. Sa main était agitée de soubresauts, et son regard cherchait celui du médecin. Sa poitrine se soulevait par saccades. De drôles de bruits, comme de petites bulles d’air crevant à la surface d’un marécage, se faisaient entendre chaque fois qu’il expirait. L’homme n’en avait plus pour longtemps.
    Al-Waqqar s’agenouilla à son côté et lui prit la main. Elle était si énorme qu’il eut peine à la tenir entre les siennes. L’homme tourna la tête vers lui, et plongea ses yeux dans les siens. Il n’y avait dans son regard ni peur ni haine, juste l’attente d’un long sommeil. Il tenta d’ouvrir la bouche, mais al-Waqqar lui posa un doigt sur les lèvres.
    — Ne dites rien, murmura-t-il.
    Le pouls de l’homme battait lentement. C’est alors que le docteur se sentit observé. Il leva les yeux, et vit une chose horrible : une tête sans corps le dévisageait de ses yeux vitreux. Il détourna le regard et replongea ses yeux dans ceux de son patient. Puis une ombre immense les recouvrit : celle du cadi Ibn Abi Asroun, que l’atabeg de Damas ne quittait pas d’une semelle, craignant pour sa place – ou pire, pour sa vie.
    — Il faut sauver cet homme, décréta Ibn Abi Asroun.
    — Je m’y efforce. Mais ce sera difficile, répondit le docteur penché sur ce géant, apparemment indestructible et qui pourtant mourait à petit feu.
    — Fais le nécessaire, insista le cadi.
    Un assistant ramassa une arme : un pieu énorme au bout duquel était fixée une lame, aussi longue que large. Une guisarme. Quand il la vit, le géant serra la main du docteur, et se souleva à demi.
    — Ne bougez pas ! ordonna le docteur, avant de s’adresser à ses suivants : qu’on m’apporte une thériaque ! Vite !
    Un aide détala vers un officier, qui portait une mallette pleine de pharmacopées diverses. La thériaque que le docteur réclamait était sa potion miracle. Elle avait le pouvoir, disait-on, de garder encore un peu sur terre ceux qui se trouvaient aux portes de la mort. Mais il ne fallait pas en abuser, ce serait condamner l’âme du trépassé à errer dans le monde sans jamais trouver de repos. C’était donc un remède qu’on n’administrait qu’en de très rares occasions, notamment quand on avait besoin de savoir quelque fait que le mourant menaçait d’emporter avec lui dans la tombe (généralement l’endroit où il avait caché son or). Entraient dans sa composition des éléments aussi rares que des racines d’acore, de rhapontic et d’aristoloche, des sommités de scordium, de marrube et de chamoepitys, du dictame de Crète et d’hypericum, du semin d’ammi et de séséli, de l’opium de Smyrne, de l’agaric blanc, du castoréum, de la terre de Judée, et, enfin, du suc de réglisse mélangé à du vin de grenache – en guise d’excipient. Le tout formait une pâte molle, appliquée à l’aide d’une spatule sur les parties du moribond qu’on souhaitait voir revivre.
    Al-Waqqar en étendit donc une large quantité sur le visage, la poitrine et le cou de l’agonisant. Il avait un trou dans le poumon droit, où il avait reçu un violent coup de hache, par où de l’air et des bulles de sang sortaient en sifflant. Il respirait à présent un peu mieux, et ses lèvres retrouvaient leurs couleurs.
    Le cadi questionna le mourant – en qui il avait reconnu un de ces mamelouks que les marchands d’esclaves s’offraient afin d’en faire des gardes du corps.
    — Où m’enterrerez-vous ? haleta le mamelouk, inquiet.
    — D’où viens-tu ? demanda le cadi.
    — De Kharezm.
    — Alors on t’enterrera là-bas.
    Le mamelouk eut un sourire. Il crut respirer les odeurs de chez lui, et sentir ses poumons se gonfler d’un air autrefois familier. Des mélodies lui revenaient en tête. Des chansons de son enfance, que sa mère lui

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