Les cochons d'argent
qu’il devait en faire.
— Au risque de vous plonger dans l’embarras, puis-je vous en demander la provenance ?
— Très volontiers, répliquai-je non sans provocation. Je l’ai obtenu comme esclave dans une mine d’argent en Bretagne.
— Vraiment très drôle ! se moqua l’artisan.
Je rentrai à nouveau chez moi. Lenia était toujours là ; elle se garda de poser la moindre question. Je n’avais plus le sourire.
Je n’étais pas au bout de mes peines. Comme j’avais viré le serveur, ma mère était venue pour nettoyer le balcon. Elle fit mine de me flanquer un coup de serpillière.
Je lui souris – grave erreur.
— Je vois que tu as trouvé une nouvelle danseuse de corde !
— Mais non ! (Je lui pris la serpillière.) Assieds-toi donc pour boire un verre de vin. Je te raconterai ce que Titus César pense de ton célèbre fils.
Elle accepta de s’asseoir mais refusa le vin. Je lui racontai comment Titus avait couvert Festus d’éloges. Elle m’écouta, sans trahir la moindre réaction, et finit par demander du vin, l’air pensive. Je lui ai versé un gobelet et nous avons bu à la mémoire de Festus. Elle but comme je l’avais toujours vue faire, bien droite sur sa chaise, à petites lampées, comme si elle ne le faisait que par politesse.
Le visage de ma mère ne vieillirait jamais, mais, ces dernières années, sa peau s’était distendue et ne collait plus parfaitement à ses os. En rentrant de Bretagne, je l’avais trouvée plus menue que dans mon souvenir. Ses yeux cernés de noir garderaient leur éclat malicieux jusqu’à la mort. Malgré son côté envahissant et les efforts que je déployais pour avoir la paix, je savais quel serait mon désarroi le jour de son décès.
Je restai silencieux, lui donnant l’occasion de digérer ce que j’avais raconté.
Personne, pas même sa fiancée, n’avait jamais critiqué le comportement de Festus. Après la nouvelle de sa mort, maman avait eu droit aux louanges sur le sacrifice héroïque, et s’était chargée – par mon entremise – de pourvoir aux besoins de Marina et de la petite. Les gens parlaient souvent de lui, mais elle jamais. Nous comprenions qu’avec la disparition de ce grand bonhomme généreux, sa vie avait perdu une bonne partie de son fondement.
Se retrouvant en tête à tête avec moi, elle choisit brusquement de se confier. En m’entendant le traiter de héros, ses traits se crispèrent et elle posa brusquement son verre après l’avoir vidé d’un trait.
— Non, Marcus, dit-elle sévèrement. Ton frère était un imbécile.
Enfin elle s’autorisa à verser quelques larmes. Serrée contre moi, elle pleurait Festus et sa mort idiote, sentant bien que j’avais toujours été de cet avis.
À compter de ce jour, en l’absence – sans doute éternelle – de mon père, je me trouvai promu chef de famille. Les vingt ans que j’avais pris dans la nuit ne me seraient pas de trop pour chausser de telles bottes.
50
Je me rendis à nouveau passage de la Louve en début d’après-midi.
Rien n’avait changé : un tas d’ordures çà et là, l’impression de profond abandon, même les égoutiers chargés de seaux demeuraient coincés au fond de leur trou… On avait disposé des soldats tout autour de l’entrepôt. Leur capitaine – un type aux traits anguleux – me refusa, très poliment, le droit d’entrer. Peut-être l’avait-on prévenu en haut lieu de mon éventuelle visite…
Je ne voyais que deux façons de tuer le temps : me ridiculiser, un bouquet d’œillets roses à la main, devant la demeure d’une certaine demoiselle, ou bien aller me dégourdir les muscles.
Je fréquentais un gymnase dirigé par un Cilicien fort rusé, prénommé Glaucus. Son établissement dépendait des thermes situés derrière le temple de Castor et présentait la particularité – aussi rare qu’appréciable – d’être respectable. Il en refusait l’accès aux gladiateurs professionnels et autres jeunes aristocrates aux joues creuses, intéressés principalement par les petits garçons. C’était une salle d’entraînement sympathique, où des citoyens d’un commerce agréable accordaient à leur corps l’attention réservée d’ordinaire à leur esprit. Cela se terminait souvent par une aimable conversation aux bains. Les serviettes étaient toujours propres, une petite bibliothèque avait été aménagée à l’abri sous les colonnades, et une délicieuse pâtisserie vous
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