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Les compagnons de la branche rouge

Les compagnons de la branche rouge

Titel: Les compagnons de la branche rouge Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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quoi que tu tentes pour me détourner
de toi. – À mon tour, une question pour toi, ô Émer, répliqua Couhoulinn. Pourquoi
ne me laisserais-tu pas quelque temps en compagnie de cette femme ? En
vérité, cette femme est pure, chaste [177] , aussi plaisante à l’œil
qu’intelligente, digne d’un roi. Elle est gracieuse et charmante, la fille des
vagues, la fille venue sur les flots d’une mer tumultueuse. Douée de beauté, elle
est experte en l’art de plaire et en l’art de broder, elle est habile de ses
mains, vive de l’esprit, elle possède de riches demeures, des troupeaux
abondants, et il n’est rien qu’elle ne puisse dispenser à celui qui partage sa couche.
Ô Émer, est-ce au dernier venu qu’une pareille femme s’abandonne ? Tu ne
trouveras pas de héros aux belles cicatrices qui me soit comparable en vertu et
en valeur… – En vérité, reprit Émer, elle n’est ni meilleure ni plus belle que
moi, la femme à laquelle tu t’es attaché. Tout ce qui est d’un rouge éclatant
paraît beau, tout ce qui est haut paraît surprenant, tout ce qui est nouveau
paraît passionnant, tandis que tout ce qui est habituel semble amer, insipide
ou dépourvu d’intérêt. On pense que ce qui n’a pas un goût habituel est
meilleur, et le désir trouble mieux que la satisfaction. Quant à moi, mon
garçon, il me suffisait d’être avec toi pour me sentir pleinement heureuse. »
    Et, là-dessus, elle versa d’abondantes larmes.
    « Sur ma parole, ô Couhoulinn, ajouta-t-elle, c’est toi
qui me plais, toi qui me plairas tant que je serai en vie… »
    Alors, Fand s’avança entre eux.
    « Abandonne-moi, ô Beau Chien d’Ulster, dit-elle. – Non,
répliqua Émer, c’est moi qu’il doit abandonner, puisque son esprit et son corps
sont emplis de toi. – Cela ne serait pas juste ! s’écria Fand. C’est moi
qui serai abandonnée, car je n’ai aucun droit sur lui, et je me savais menacée
de le perdre. »
    Cependant, une grande tristesse et une grande mélancolie l’envahirent,
et elle se sentit humiliée de devoir, abandonnée par Couhoulinn, retourner
sur-le-champ dans son pays. Et le grand amour qu’elle portait au fils de
Sualtam l’accabla si soudainement qu’elle se mit à sangloter si fort, en
présence d’Émer et des femmes d’Irlande, que celles-ci furent prises de
compassion. Or, quand elle eut fini de pleurer, Fand chanta ces stances :
     
    C’est moi qui vais partir en voyage,
    mais ce sera par grande nécessité
    et, quel que soit le jugement de chacun,
    je préférerais rester…
    Ô Émer, c’est à toi qu’est l’homme
    qui me fuit, noble femme.
    Mais sache que ce que je n’atteins pas de ma main,
    je ne peux m’empêcher de le désirer…
    Beaucoup de héros m’ont recherchée,
    tant dans la plaine que dans ma demeure,
    je ne suis pas allée à leur rencontre,
    car je ne les aimais pas.
    C’est grand malheur que de donner son amour
    à un homme qui n’y prête pas attention.
    Il vaut mieux s’en aller
    quand on n’est pas aimée comme on aime…
     
    Cependant, Mananann, fils de Lîr, fut averti de ce qui se
passait près de l’If de la Pointe du Rivage. On lui dit que Fand se trouvait en
face des femmes d’Irlande et que celles-ci voulaient la tuer parce qu’elle
avait osé porter son regard sur Couhoulinn. Alors, il vint en personne, de la
Terre de Promesse, et se rendit sur les lieux de la rencontre. Mais personne, hormis
Fand et Loeg, ne le voyait, car il avait le don d’invisibilité.
    En l’apercevant, Fand comprit qu’il venait la chercher pour
la ramener dans la Terre de Promesse. En proie à un grand trouble et à un grand
découragement, elle se reprit à pleurer puis chanta ces stances :
     
    Voici le temps des lamentations :
    ce n’est pourtant pas ce que je souhaite,
    mais l’amour ne se commande pas,
    il va son chemin sans détour.
    Quand j’étais avec le fils de Lîr,
    dans la belle Terre de Promesse,
    il nous semblait que le temps n’aurait pas de terme
    et que nous ne serions jamais séparés…
    Quand le superbe Mananann m’emmena,
    je fus une épouse digne de lui.
    Il m’a donné un collier d’or,
    et je le porte encore aujourd’hui.
    J’ai vu ici, sur les flots écumeux de la mer,
    ce qu’aucun de vous ne peut voir,
    un cavalier bondir sur les vagues,
    qui se déplaçait sans navire.
    Il est venu jusqu’à nous,
    mais aucun de vous ne peut le voir,
    il est venu de bien loin pour me chercher,
    parce que je suis

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