Les compagnons de la branche rouge
singulièrement.
Survint la fin de la saison d’été où les Ulates, comme
accoutumé, se réunirent à Émain Macha, autour du roi Conor, trois jours avant
la nuit de Samain . Or, pendant qu’ils se divertissaient
sur la prairie devant la forteresse royale, ils virent surgir dans le ciel un
vol de cinquante oiseaux qui, se posant bientôt, se mirent avec tant d’entrain
à becqueter l’herbe autour des Ulates que le sol fut entièrement dépouillé.
« D’où viennent ces oiseaux et pourquoi sont-ils si
voraces ? s’étonnaient les Ulates. Nous n’en avons jamais vu de semblables. »
Mais les oiseaux continuaient à picorer tout autour, et avec
une telle ardeur que ne subsista bientôt plus, dans la vaste plaine qui entoure
Émain Macha, herbe ni plante ni racine. Fort contrariés de les voir ainsi
dévaster leur pays, les Ulates décidèrent de se mettre en chasse pour les tuer
et, dans ce but, ils attelèrent leurs chars, car c’est ainsi qu’ils avaient
coutume de chasser les oiseaux. Prirent place sur ces chars Conor et Fergus, fils
de Roeg, ainsi que le druide Amorgen et l’hospitalier [59] des Ulates Blai Bliuga, et encore le druide Sencha, célèbre par sa sagesse, et
Bricriu à la Langue empoisonnée qui, malgré sa méchanceté, était un fidèle vassal
du roi.
Ils s’apprêtaient à partir, quand Loegairé Buadach et Conall
Cernach ainsi que Finnchoem, l’une des sœurs de Conor, demandèrent à les
accompagner et, tous ensemble, ils se mirent à la poursuite des oiseaux. Or, ceux-ci
avaient pris leur essor et, hors de portée des javelots et des pierres de
fronde, ils s’enfuyaient vers le sud en rangs si pressés qu’ils obscurcissaient
la lumière du soleil. Il n’existait ni haie, ni clôture, ni muret en Irlande en
ce temps-là [60] ,
et la plaine parfaitement unie permettait aux chars de rouler droit devant eux
sans rencontrer d’obstacle. C’est bien plus tard que l’on divisa le pays, eu
égard au nombre des habitations et à la part qui devait revenir à chacun des
maîtres du terrain.
Belle et gracieuse était cependant la troupe des oiseaux, son
chant aussi harmonieux que magique. Chose étrange, ils volaient deux par deux, chaque
couple étant uni par une chaîne. Et celle qui reliait les deux oiseaux de tête
était d’argent étincelant [61] .
Toutefois, l’un des oiseaux volait seul, qui, comme la journée s’avançait, se
sépara des autres et s’en fut dans la direction de la plaine de Brega, tandis
que ses compagnons poursuivaient leur route vers le sud, traqués par les Ulates.
Or, les hommes d’Ulster persistèrent si bien à courir plaines
et vallées que la nuit finit par les surprendre, pendant que la neige se
mettait à tomber sur eux. Conor leur ordonna donc de s’arrêter, de dételer ;
puis il pria l’un d’eux d’aller explorer les alentours en quête d’un abri
susceptible de les protéger du froid pendant la nuit. Et ainsi, Fergus, fils de
Roeg, partit en éclaireur.
Après avoir marché un certain temps, il parvint près d’une
petite maison à l’aspect très pauvre. Une lumière cependant brillait à la porte
et, s’avançant pour savoir qui vivait là, il aperçut un homme et une femme qui,
allongés sur leur couche, s’unissaient.
« Bienvenue à toi, dit l’homme. Que désires-tu ? »
Tout conscient qu’il était de l’extrême délabrement du gîte
et de son exiguïté qui ne se prêtait nullement à l’accueil de ses compagnons, Fergus
demanda néanmoins de la nourriture pour eux et pour lui.
« Venez donc, répondit l’homme, vous serez tous les
bienvenus ici. »
Fergus repartit dans la nuit vers les siens.
« Quelles nouvelles rapportes-tu ? questionna
Conor. – J’ai découvert une maison, non loin d’ici, répondit Fergus, où l’on
nous invite à entrer. Mais elle est si pauvre et si petite que je doute fort
que nous y trouvions de quoi nous restaurer ni seulement la place de nous
reposer. – Peu importe, dit Conor. Nous n’avons pas le choix, car il nous est
impossible de rester dehors par ce froid. »
Ils remontèrent donc sur leurs chars et s’en furent, derrière
leur guide. Or, au grand étonnement de Fergus, eux et leurs chars entrèrent
sans peine dans la maisonnette. Et, à peine installés, ils virent s’ouvrir une
porte qui livra passage à l’hôte, lequel, avec beaucoup de courtoisie, leur
apporta force nourriture, ainsi que des boissons qui leur parurent excellente. Quand
ils
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