Les compagnons de la branche rouge
de bonne grâce les raisons invoquées par la femme et lui
accorda le délai d’une nuit et d’un jour, après quoi les Ulates s’étendirent et
s’endormirent. Or, cette nuit-là, la femme qui habitait la maison merveilleuse
donna naissance à un enfant, tandis qu’une jument, qui se trouvait devant la
porte, mit bas deux poulains vigoureux.
À leur réveil, le lendemain matin, les Ulates furent bien
étonnés : ils étaient couchés à même le sol, et il n’y avait aucune trace
de maison dans les alentours. De plus, ils virent, chose encore plus
extraordinaire, un petit garçon nouveau-né sur la poitrine de Conor. Quand
celui-ci se fut remis de sa surprise, il dit à sa sœur Finnchoem :
« Prends cet enfant et élève-le. »
Elle regarda l’enfant et en fut tout émue.
« Mon cœur aime ce petit garçon, dit-elle, et je te
jure qu’il me sera aussi cher que mes propres enfants. – En vérité, intervint
alors Bricriu, tu n’auras pas à trop te forcer. On ne verra guère de différence
entre lui et les tiens, car il est le fils de ta sœur Dechtiré. C’est en effet
dans la maison qui se dressait ici hier soir qu’elle se trouvait en compagnie
des cinquante jeunes filles qui avaient disparu avec elle. Je les ai vues moi-même,
j’en puis témoigner… – Triste présent qu’elle nous fait là ! grommela
Conor. – Bien au contraire ! s’écria le druide Sencha. Grand honneur et
grande gloire nous viendront de cet enfant. »
Et il se mit à chanter le chant suivant :
Magnifique est la puissance de la maison à la petite richesse,
magnifique est la bienheureuse Dechtiré,
car elle nous a protégés avec nos chars
et elle a chassé le froid de nos chevaux.
Et c’est grâce à elle que nous est venu
un grand trésor du nom de Sétanta…
« Eh bien, s’écria Conor, qu’on donne à ce garçon le
nom de Sétanta et que Finnchoem le prenne et l’élève. – En vérité, reprit
Sencha, ce n’est pas elle qui s’en chargera mais moi, car je suis fort, brillant,
expert en toutes sciences, détenteur de sagesse, et je ne suis pas oublieux de
mes devoirs. Ne suis-je pas druide ? En tant que tel, je parle toujours
avant le roi devant toutes les assemblées, et c’est moi qui transmets au peuple
qui ne pourrait les comprendre les paroles du roi. Je juge les combats du roi
devant Conor lui-même. Je décide de tout ce qui doit être jugé parmi les Ulates,
et ceux-ci ne m’accusent jamais de rendre de mauvais jugements. Je les soutiens
tous dans leurs contestations d’honneur pour le bien de chacun et des coutumes
de nos ancêtres. – Pourquoi ne le prendrais-je pas, moi ? dit alors Blai
Bliuga, le nourricier d’Ulster. Cet enfant ne sera ni mal nourri ni négligé d’aucune
façon. Mes messagers ont toujours pourvu aux moindres désirs de Conor. J’invite
à festoyer chez moi les plus grands nobles d’Irlande, je les nourris pendant
dix jours, et lequel s’est jamais plaint de moi ? Je leur donne de quoi
exercer leur art et leur fureur guerrière. Nul ne saurait me surpasser comme
tuteur, excepté le roi Conor lui-même. – Tes paroles sont bien présomptueuses !
s’écria Fergus. Cet enfant, en naissant, a choisi un champion pour être auprès
de lui. C’est moi qui le nourrirai et l’élèverai. Je suis fort, je suis sage, habile
ambassadeur ; nul ne me surpasse ni en dignité, ni en richesse. Je suis
rude à la fois par mes armes et par ma valeur. M’a-t-on jamais vu tolérer l’injustice
et la lâcheté ? Je suis digne de mon fils adoptif. Je suis une protection
contre tout mal. Si je terrorise les arrogants trop confiants dans leur force, je
défends toujours la cause des plus faibles. – Vos paroles sont de vains
bavardages ! s’écria à son tour Amorgen. Je suis druide et de sang royal. Je
suis donc capable d’élever royalement mes fils adoptifs. On me loue pour ma
dignité, pour mon courage, pour ma valeur, pour les poèmes que je récite devant
l’assemblée. Tous m’envient mon intelligence, mon éloquence, ma fortune, ainsi
que le courage de mes enfants. J’ai beau être un champion sur le champ de
bataille, je suis également poète et, en tant que tel, digne de la faveur du roi.
Je peux frapper tout guerrier qui s’opposerait à moi, et je ne dois de comptes
à personne, sinon au roi Conor lui-même. – Il ne sera rien de tout cela, dit
Sencha, et vos paroles sont inutiles. Que Finnchoem prenne l’enfant et le garde
jusqu’à
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