Les compagnons de la branche rouge
passé.
« Il n’a pas mal agi, prononça Coirpré. N’importe quel
étranger se serait comporté de même. Il m’incombe cependant de m’opposer à lui
pour mesurer sa valeur. »
Il prit donc ses armes, sortit de la forteresse et, dès qu’il
l’aperçut, Couhoulinn se précipita sur lui. Mais ils eurent beau lutter depuis
le matin jusqu’à la tombée de la nuit, aucun d’eux n’obtint sur l’autre le
moindre avantage. L’une après l’autre, leurs épées frappaient sans occasionner
de blessure, quoique, l’un après l’autre, leurs boucliers fussent brisés. Et
Couhoulinn, forcé d’admettre qu’il affrontait un adversaire des plus habiles, finit
par comprendre qu’il ne pouvait vaincre sans faire usage du gai
bolga . Il s’apprêtait donc à décocher le coup mortel quand Coirpré le
Beau s’écria : « Grâce ! ô Couhoulinn ! »
Et il rejeta ses armes très loin de lui. Couhoulinn s’arrêta
net dans son élan meurtrier et, à son tour, abandonna ses armes. Alors, Coirpré
le Beau lui prit le bras pour l’emmener dans la forteresse. Là, il lui fit
préparer un bain et, celui-ci pris, lui donna nourriture et boisson. Puis, lorsque
fut venue l’heure d’aller se coucher, il lui accorda sa fille pour dormir avec
lui.
Le lendemain matin, Couhoulinn demanda à Coirpré le Beau :
« Sais-tu pour quelle raison les fils de Doel l’Oublié
durent quitter leur pays ? – Je le sais, répondit Coirpré. Mes neveux, les
fils de Doel l’Oublié, furent capturés par Éochaid Glass, un guerrier
redoutable venu nous infliger autant de pertes que d’injures. Depuis qu’il se
trouve sur nos terres, il exige de nous nourriture et boisson et, si nous ne
lui donnons satisfaction, il ravage le pays et tue tous les gens qu’il croise
sur son chemin. Il ne tolère pas qu’un étranger aborde sur ce rivage : aussi,
sitôt averti de ton arrivée, viendra-t-il devant la forteresse te provoquer au
combat. Et sache qu’il est habile et rusé, car il a été si bien instruit par
les Fomoré dans les arts de la sorcellerie qu’aucun d’entre nous n’a jamais pu
le vaincre. Mais il a été dit par nos devins qu’un homme viendrait de l’ouest
nous libérer de ce fléau. Alors, tout rentrera dans l’ordre, et mes neveux, les
fils de Doel l’Oublié, pourront rentrer dans leur pays où les attendent leur
père et leur mère. »
Vers le milieu du jour, des messagers vinrent informer
Coirpré le Beau qu’Éochaid Glass, furieux qu’un étranger fût arrivé la veille, viendrait
sous peu le défier. Escorté de son hôte, Couhoulinn s’en fut donc à la
rencontre du redoutable guerrier qui avait si longtemps tyrannisé ce malheureux
pays. Ils longèrent ainsi le rivage de la mer jusqu’à un endroit où s’ouvrait
une large vallée entre deux montagnes, et ils aperçurent Éochaid qui venait
vers eux avec ses lances pointues, ses javelots bien aiguisés, son épée
tranchante et son bouclier de bronze. Or, une fois parvenu à peu de distance d’eux,
il s’immobilisa et fit tournoyer son épée au-dessus de sa tête.
« Quelqu’un est-il venu d’au-delà des mers pour me rencontrer ?
demanda-t-il avec arrogance. – Certainement, répondit Couhoulinn en s’avançant.
Je suis celui qui est venu pour débarrasser ce pays de ta présence. »
Éochaid Glass éclata d’un rire mauvais.
« Tu sembles bien présomptueux, misérable blanc-bec !
s’écria-t-il. Sache que jamais aucun homme n’a été capable de me résister. – Il
en va de même pour moi, répliqua Couhoulinn. Dans toute l’Irlande, personne n’ose
me provoquer parce qu’on me sait invincible. – Qui es-tu donc pour me parler
sur ce ton ? – Les gens de mon pays me nomment Couhoulinn. Je suis fils de
Sualtam et de Dechtiré, la sœur du roi Conor qui a autorité sur l’Ulster. – Eh
bien, Couhoulinn, puisque c’est toi, que te serviront tes grimaces et tes
contorsions contre ma force et ma valeur ? – Tu le sauras en m’affrontant,
si toutefois tu en as le courage ! – Il est bien désagréable, en vérité, l’aboiement
du Chien du Forgeron ! s’écria encore Éochaid Glass avec mépris. Je ne
veux plus l’entendre ! »
Ils se précipitèrent alors l’un sur l’autre avec rage et
frénésie. Couhoulinn sauta en l’air, comme il l’avait fait au Pont des Sauts, et,
balançant son corps comme un oiseau dans le vent, se percha sur le bord du
bouclier d’Éochaid. Mais celui-ci, d’un
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