Les compagnons de la branche rouge
l’a
prétextée, prononça Sencha. Puisque Conor est notre roi suprême pour toute l’année
à venir, laissons-le régner en paix. – Tu dis juste, admirent les garants de
Fintan. Nous ne parlerons plus de cela jusqu’à la fin de l’année, mais à une
condition : que Couhoulinn reste chez lui et ne se présente pas à Émain
Macha. – Nous acceptons, acquiescèrent les garants de Couhoulinn, mais à une
condition : que Fintan aussi reste chez lui et ne se présente pas à Émain
Macha. »
Ils s’engagèrent tous à respecter la trêve et, durant trois
jours et trois nuits, festoyèrent chez le roi Conor. Enfin, après avoir mangé
et bu jusqu’à satiété, ils se séparèrent, et chacun s’en retourna qui dans sa
maison, qui dans sa forteresse, qui dans sa ferme.
Et, cette année-là, la province d’Ulster connut un bonheur
et une prospérité sans pareils. Jamais ne furent si abondantes les récoltes d’orge
et de fourrage, jamais les vaches ne donnèrent tant de lait. Grâce à Conor, le
royaume fut une fontaine d’abondance et de justice, et l’on n’y vit plus de
terres en friche ni de fermes abandonnées.
Au bout de ce temps, Émer dit à Couhoulinn, en la forteresse
de Dun Dealga : « Voici un an que Conor est roi suprême de cette
province ; le temps est venu, selon moi, que tu lui prépares un festin
royal. – Ton conseil est juste, répondit-il. Qu’il en soit ainsi. »
Il ordonna donc à ses intendants et à ses serviteurs d’apprêter
tout ce qu’il fallait pour le festin. Mais, au même moment, Fintan, fils de Niall,
décidait aussi de convier chez lui le roi Conor et ordonnait à ses intendants
et à ses serviteurs de tout apprêter pour accueillir le roi. De sorte que, le
même jour, les deux hommes se présentèrent devant Conor, à Émain Macha, pour l’inviter
à venir boire et manger chez eux.
Et, bien entendu, après avoir tous deux réitéré leur demande,
aucun d’eux n’en voulut démordre, et l’appel aux garants raviva si bien la
discorde que chaque parti se rua sur l’autre avec tant de furie que le druide
Sencha prôna vainement la paix. Quant à Conor, ulcéré de voir ses vassaux se
battre avec une pareille férocité, il sortit de la maison de la Branche Rouge, leur
laissant le champ libre pour s’entre-tuer.
Il alla toutefois trouver son fils Furbaide, qui, quoique
son dernier-né et encore un enfant, avait été élevé dans la maison de
Couhoulinn, sous la protection de celui-ci.
« Mon fils, lui dit-il, si tu en avais le désir, les
Ulates viendraient tous vers toi pour faire leur paix. – Comment cela ? demanda
l’enfant. – Ce n’est pas difficile. Il te suffirait d’aller dans la maison où
ils se battent et de te mettre à pleurer et à te lamenter devant Couhoulinn. Il
ne t’en tiendra nullement rigueur, puisqu’il te doit protection. Et il finira
par comprendre la vanité d’un combat qui te chagrine et te contrarie. »
Aussitôt dit, Furbaide entra dans la maison de la Branche
Rouge et se mit à gémir et sangloter si fort en présence de Couhoulinn, son
père adoptif, que celui-ci lui en demanda la raison.
« Ô mon père Couhoulinn, répondit l’enfant, alors que
la province est une fontaine d’abondance et de prospérité, voici que tu détruis
et tu ravages tout pour un motif aussi futile que détestable ! – J’ai
engagé ma parole, répliqua Couhoulinn, et je ne la reprendrai pas. – Et moi, je
jure, par le dieu que jure ma tribu ! s’écria Fintan, que je ne tolérerai
pas que les Ulates ne viennent pas boire et manger chez moi cette nuit ! »
Les Ulates avaient, cependant, cessé de se battre, émus qu’ils
étaient par les pleurs et les lamentations du petit garçon. Alors intervint le
druide Sencha.
« Je vais vous donner un bon conseil, dit-il. La
première partie de la nuit, vous irez chez Fintan participer au festin qu’il
vous a préparé. Mais la seconde appartiendra à Couhoulinn, et vous irez boire
et manger chez lui. Ainsi cet enfant n’aura-t-il plus aucune raison de pleurer.
– J’y consens, dit Couhoulinn. – Dans ces conditions, ajouta Fintan, je me
rendrai moi-même au festin de Couhoulinn s’il vient d’abord chez moi. »
Alors, les Ulates se rassemblèrent autour de Conor, et le
roi envoya des messagers par toute la province informer les habitants d’avoir à
prendre part au festin de Fintan. Puis lui-même, escorté des compagnons de la
Branche Rouge, donna l’exemple en
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