Les compagnons de la branche rouge
nul
pouvoir sur les miens : il me faut seulement être là puisque, à en croire
le proverbe, on ne saurait gagner de bataille en l’absence du roi. »
Il en était là de ses réflexions moroses quand Couhoulinn, saisi
de fureur guerrière, bondit à travers la troupe des ennemis et, frappant tous
ceux qu’il rencontrait sur son passage, les étendit à terre. Furbaide Fer Bend,
fils de Conor, le suivit dans cette sanglante contre-offensive, tournant autour
de ses adversaires et les meurtrissant durement, mais sans qu’ils osassent
eux-mêmes s’en prendre à lui, tant sa beauté était éclatante.
« Qu’est cela ? s’écria toutefois l’un des
guerriers de Connaught. Pourquoi personne ne s’attaque-t-il à ce beau guerrier ?
Sa beauté est insolente et maléfique. Je jure par le dieu que jure ma tribu de
venger sur lui, en ce jour, la mort de mes parents ! »
Il s’élança sur Furbaide, brandit son épée, mais Couhoulinn
le traversa de sa lance et, à ce spectacle de mort, les hommes de Connaught et
de Munster se débandèrent d’un seul coup, abandonnant la forteresse. Maeve s’enfuit
sur son char, en compagnie de Cûroi mac Daeré, tandis qu’Ailill demeurait sur
place avec ses sept fils ; mais les Ulates les respectèrent pour n’avoir
pris aucune part à la bataille menée contre eux.
Ensuite, les gens de Conor détruisirent la forteresse, l’incendièrent
et, depuis lors, Temair Luachra n’a jamais été habitée.
Crimthann Niath Nair, un des guerriers de Connaught qui
avaient échappé au massacre, traversait tristement la plaine en direction de sa
demeure quand il rencontra Richis, femme satiriste qui était aussi sa mère
nourricière. Elle lui demanda des nouvelles.
« Mon fils est-il sauf ? dit-elle. – Hélas ! non,
répondit Crimthann. Il a été tué par Couhoulinn, le chien du Forgeron, ce cruel
d’entre les cruels. – Viens avec moi pour le venger, dit Richis. Tu frapperas
Couhoulinn et tu le tueras en pensant à ton frère de lait. – Il est presque
impossible de s’attaquer à lui. Il ne me laissera même pas le temps de m’approcher.
– Il faut le prendre par surprise et lui poser sur les épaules tes deux mains. Telle
est la seule façon de le vaincre. »
Ils suivirent donc les traces des Ulates et rejoignirent
Couhoulinn à un gué où Loeg abreuvait ses chevaux tandis que son maître se
reposait dans l’herbe. Richis s’avança vers eux et se dépouilla de tous ses
vêtements. Couhoulinn se tourna, visage au sol, afin de ne pas voir sa nudité.
« Attaque-le maintenant, ô Crimthann », dit Richis.
Crimthann s’approcha en silence, et il s’apprêtait à lui
poser ses deux mains sur les épaules quand Loeg cria : « Attention !
L’homme est juste derrière toi ! – Je ne me relèverai pas, répliqua
Couhoulinn, tant que cette femme n’aura pas changé de posture. »
Alors, Loeg prit une pierre de fronde dans le char et la
décocha si bien contre la femme qu’elle lui traversa le dos et la tua net. Couhoulinn
se releva, et il eut tôt fait de tuer Crimthann, dont il emporta la tête et les
dépouilles.
Là-dessus, Loeg et Couhoulinn rejoignirent le gros des
Ulates et les emmenèrent tous à Dun Dealga, où leur fut enfin servi le festin
préparé pour eux. Et ils mangèrent, burent et firent la fête pendant trois
jours et trois nuits. Enfin, chacun prit congé de Couhoulinn et retourna chez
lui.
Quant à Ailill, il vint du sud avec ses sept fils et fut
reçu en hôte par Conor à Émain Macha. On lui donna la largeur de son visage en
or et en argent, ainsi que sept femmes esclaves à chacun de ses fils, puis il
retourna dans son pays après avoir conclu paix et amitié avec les Ulates. Et, pendant
quelque temps, Conor n’eut à déplorer aucune expédition des gens de Connaught
contre son royaume [123] .
CHAPITRE IX
La tragique histoire de Déirdré des Douleurs
Déirdré, fille de Fédelmid, conteur du roi Conor, était
élevée à l’écart du monde, dans une forteresse isolée où nul homme, excepté les
serviteurs et les intendants choisis par Conor lui-même, ne pouvait pénétrer, en
raison de la prophétie qui la vouait à susciter le malheur et le meurtre chez
les Ulates. Aussi le roi prétendait-il la tenir à l’abri de tous les regards, jusqu’à
l’heure où il comptait en faire son épouse.
Elle allait à présent sur ses dix-sept ans et Conor, qui se
tenait informé de ses moindres faits et gestes par sa
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