Les compagnons de la branche rouge
messagère Leborcham, voyait
approcher le jour où il pourrait enfin l’amener à Émain Macha et, par là même, montrer
aux Ulates qu’il prenait sur lui la malédiction évoquée par le druide Cavad
alors qu’elle se trouvait encore dans le sein de sa mère. Et il entendait aussi
prouver, ce faisant, qu’il était, en tant que roi, seul capable de faire dévier
le cours d’une destinée, fût-elle annoncée comme la plus tragique et la plus
néfaste.
Or, un jour d’hiver, alors que la neige était tombée en
abondance la nuit précédente, l’un des serviteurs de Déirdré se trouvait dans
la cour, occupé à écorcher un veau qu’il venait de tuer et qu’il destinait au
repas du soir. La jeune fille s’était levée de bonne heure et, depuis la
fenêtre de la maison, contemplait le paysage, dont la blancheur si pure et si
intense l’émerveillait, quand elle aperçut un corbeau qui s’abreuvait de sang
de veau. Et comme Leborcham se trouvait à ses côtés dans la chambre, elle lui
dit :
« Vois-tu ? Le seul homme que j’aimerai sera doté
des trois couleurs présentes en ce moment dans la cour : sa chevelure
devra être comme le plumage du corbeau, sa joue aussi rouge que le sang, son
corps aussi blanc que la neige. – Mon enfant, répliqua Leborcham, il est beau
de rêver, mais je te rappelle que le seul homme que tu devras aimer est le roi
Conor à qui tu es destinée depuis ta naissance. Mais, rassure-toi, Conor est un
bel homme, un fier guerrier et un père très bon et très juste pour tous les
gens de son peuple. – Qu’est-ce que cela peut me faire ! s’écria Déirdré, je
t’assure, je n’aimerai qu’un seul homme en ma vie : celui qui aura des
cheveux de jais, des joues rouges et un corps immaculé. Connais-tu, parmi les
jeunes d’Ulster, quelqu’un qui soit fait de la sorte ? – Hélas ! répondit
Leborcham, je ne les connais pas tous, mais j’en sais au moins un qui a la
chevelure plus noire que le plumage du corbeau, les joues plus rouges que le
sang et le corps plus blanc que la neige… – Ô Leborcham ! s’exclama la
jeune fille, combien tu réjouis mon cœur ! Quel est le nom de ce jeune
homme ? Dis-le-moi, je t’en prie. – À quoi bon te le dire ? S’il te
rencontrait, il ne jetterait même pas les yeux sur toi… L’interdit de Conor est
formel, et nul des Ulates ne peut s’y soustraire. – Dans ce cas, insista
Déirdré, tu ne risques rien à me dire son nom. Je voudrais savoir seulement s’il
est digne d’être aimé. – Certes, il l’est, répondit Leborcham. C’est Noisé, l’un
des fils d’Usnech, l’un des plus valeureux des compagnons de la Branche Rouge.
– Ah ! je ne serai ni bien portante ni heureuse avant de l’avoir rencontré,
soupira Déirdré. – Par le dieu que jure ma tribu, je ne le souhaite pas car, assurément,
il en résulterait de grands malheurs. »
Peu de jours après, Conor fit venir Déirdré à Émain Macha
mais, désireux de cacher encore sa présence, il l’obligea à demeurer à l’écart,
dans une maison de la forteresse où la surveillait sa nourrice et la
protégeaient quelques gardes absolument sûrs. Il voulait que le jour où il
paraîtrait en sa compagnie fût célébrée une grande fête, car il tenait beaucoup
à ce que cette union apportât la preuve qu’un grand roi peut toujours défier le
destin et imposer sa propre loi.
Or, un matin, Noisé, fils d’Usnech, qui s’était levé dès les
premières lueurs du soleil, se promenait en chantant sur les murailles d’Émain
Macha. Et elle était si harmonieuse, sa voix, comme celle de ses frères, que
toute vache qui l’entendait donnait deux tiers de lait supplémentaires, et que
tout homme qui l’entendait en éprouvait un sentiment de paix et de joie
profondes. Mais si la voix des fils d’Usnech était admirable, leur valeur ne l’était
pas moins, surtout celle de Noisé, qui avait été l’élève de Scatach en
compagnie de Couhoulinn, et leur adresse aux armes les avait rendus également
célèbres. Tous les guerriers d’Ulster auraient eu beau s’assembler contre eux, ceux-ci,
adossés les uns aux autres, fussent demeurés invincibles, en raison de la
supériorité de leur riposte et de l’habileté de leur défense. Et, quand ils
allaient à la chasse, ils étaient aussi rapides que des limiers pour traquer le
gibier et s’emparer des daims à la course.
Ce matin-là, Déirdré s’était éveillée très tôt car,
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