Les compagnons de la branche rouge
pendant
la nuit, elle avait vu en songe une grande ombre se profiler sur les murailles
d’Émain Macha, et cette ombre avait pris peu à peu la forme d’un jeune homme à
la chevelure noire, aux joues rouges, au corps plus blanc que neige. Se
glissant hors de la maison sans que personne s’en aperçût, elle s’approcha des
remparts de la forteresse et entendit le chant de Noisé. Elle se hâta dans la
direction de la voix et le vit.
Au seul aspect de la chevelure noire, des joues rouges et du
corps très blanc du jeune guerrier, elle fut aussitôt envahie dans tout son
être d’un violent amour. Elle s’avança encore et, quoique Noisé ne l’eût jamais
rencontrée, il devina instantanément qui elle était et que Conor l’avait fait
venir en cachette à Émain Macha.
« Elle est belle, la génisse qui passe près de moi, dit-il.
– Il faut de grandes génisses là où les taureaux ne sont pas, repartit-elle. – Tu
as pourtant, reprit Noisé, le grand taureau de la province, à savoir le roi d’Ulster.
– Je voudrais pouvoir choisir entre vous deux, répliqua-t-elle, et, en vérité, je
lui préférerais le jeune taurillon. – Mais moi, je te refuserais », dit-il.
À ce mot, Déirdré poussa un grand cri et, se précipitant sur
Noisé, le saisit par les deux oreilles.
« Par le dieu que jure ma tribu ! dit-elle, voici
deux oreilles de honte et de moquerie. Mort et destruction sur toi si tu ne m’emmènes
immédiatement, quand bien même tous les Ulates voudraient t’en empêcher [124] .
– Éloigne-toi de moi, ô fille ! s’écria-t-il. – Il est trop tard, maintenant,
répondit-elle. Je serai à toi comme tu seras à moi, pour toute la vie ! »
Alors Noisé poussa un grand cri de lamentation que tous les
Ulates entendirent, et ils en furent tellement bouleversés que, se jetant les
uns contre les autres, ils commencèrent à se battre.
Les fils d’Usnech étaient sortis, eux aussi, car ils avaient
reconnu la voix de leur frère. Ils se précipitèrent vers lui.
« Que t’arrive-t-il donc ? lui demandèrent-ils. Il
ne faut pas que les Ulates s’entre-tuent à cause de toi. »
Il leur raconta ce qui s’était passé.
« Voilà une mauvaise aventure, dirent-ils, et nous savons
qu’elle tournera très mal. Mais, quoi qu’il en soit, tu ne seras pas exposé à
la honte et au déshonneur tant que nous serons en vie. Nous allons rassembler
nos gens et emmener la fille loin de ce pays. Il ne manquera pas en Irlande de
rois généreux pour nous accueillir et pour accepter nos services. – Qu’il en
soit ainsi, dit Noisé, puisque nous ne pouvons agir autrement. »
Après avoir tenu conseil avec les membres de leur famille, les
fils d’Usnech partirent dès la nuit suivante, avec trois cinquantaines de
jeunes guerriers, trois cinquantaines de femmes, trois cinquantaines de valets,
trois cinquantaines de chiens, et ils emmenèrent Déirdré. En apprenant leur
fuite, Conor entra dans une violente colère et jura qu’il se vengerait de l’affront
qu’on lui avait fait. Le druide Cavad tenta de le calmer en lui rappelant que
Déirdré devait porter malheur à tous ceux qui l’approcheraient et que, par
conséquent, mieux valait qu’elle ne fût plus dans le royaume d’Ulster. Peine
perdue, car le roi Conor était bien décidé à se défaire tôt ou tard de Noisé
pour reprendre celle sur laquelle il avait jeté son dévolu.
Quant aux fils d’Usnech, ils passèrent un long temps au
service des rois d’alentour, d’Esruaid au sud-ouest à Ben Étair au nord-est. Mais,
quelque bon accueil qu’on leur réservât, la mort ne cessait de les y talonner, car
Conor, par malice et par ruse, soudoyait des assassins à cette fin. De sorte qu’ils
finirent par admettre qu’ils ne trouveraient jamais de repos ni de paix en
Irlande et décidèrent de franchir la mer pour se rendre en Écosse.
Ils s’établirent dans un lieu désertique, sis à la rencontre
de deux vallées, et y vécurent d’abord de chasse et de pêche ; puis, quand
le gibier de la montagne vint à leur manquer, ils s’en prirent aux bestiaux des
hommes d’Écosse et ceux-ci, voulant mettre un terme à leurs pillages, se
réunirent dans l’intention de les exterminer. Alors, les fils d’Usnech allèrent
trouver le roi d’Écosse et lui exposèrent la situation dans laquelle ils se
trouvaient, et le roi d’Écosse, ému de leur détresse, les prit à son service. Ils
construisirent donc leurs maisons
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