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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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pouvaient le devenir par la franchise
que j'étais capable d'y mettre; et je résolus d'en faire un ouvrage
unique, par une véracité sans exemple, afin qu'au moins une fois on
pût voir un homme tel qu'il était en dedans. J'avais toujours ri de
la fausse naïveté de Montaigne, qui, faisant semblant d'avouer ses
défauts, a grand soin de ne s'en donner que d'aimables; tandis que
je sentais, moi qui me suis cru toujours, et qui me crois encore, à
tout prendre, le meilleur des hommes, qu'il n'y a point d'intérieur
humain, si pur qu'il puisse être, qui ne recèle quelque vice
odieux. Je savais qu'on me peignait dans le public sous des traits
si peu semblables aux miens, et quelquefois si difformes, que,
malgré le mal dont je ne voulais rien taire, je ne pouvais que
gagner encore à me montrer tel que j'étais. D'ailleurs, cela ne se
pouvant faire sans laisser voir aussi d'autres gens tels qu'ils
étaient, et par conséquent cet ouvrage ne pouvant paraître qu'après
ma mort et celle de beaucoup d'autres, cela m'enhardissait
davantage à faire mes Confessions, dont jamais je n'aurais à rougir
devant personne. Je résolus donc de consacrer mes loisirs à bien
exécuter cette entreprise, et je me mis à recueillir les lettres et
papiers qui pouvaient guider ou réveiller ma mémoire, regrettant
fort tout ce que j'avais déchiré, brûlé, perdu jusqu'alors.
    Ce projet de retraite absolue, un des plus sensés que j'eusse
jamais faits, était fortement empreint dans mon esprit; et déjà je
travaillais à son exécution, quand le ciel, qui me préparait une
autre destinée, me jeta dans un nouveau tourbillon.
    Montmorency, cet ancien et beau patrimoine de l'illustre maison
de ce nom, ne lui appartient plus depuis la confiscation. Il a
passé, par la sœur du duc Henri, dans la maison de Condé, qui a
changé le nom de Montmorency en celui d'Enghien; et ce duché n'a
d'autre château qu'une vieille tour, où l'on tient les archives, et
où l'on reçoit les hommages des vassaux. Mais on voit à Montmorency
ou Enghien une maison particulière bâtie par Croisat, dit le
pauvre, laquelle ayant la magnificence des plus superbes châteaux,
en mérite et en porte le nom. L'aspect imposant de ce bel édifice,
la terrasse sur laquelle il est bâti, sa vue unique peut-être au
monde, son vaste salon peint d'une excellente main, son jardin
planté par le célèbre Le Nôtre, tout cela forme un tout dont la
majesté frappante a pourtant je ne sais quoi de simple, qui
soutient et nourrit l'admiration. M. le maréchal duc de Luxembourg,
qui occupait alors cette maison, venait tous les ans dans ce pays,
où jadis ses pères étaient les maîtres, passer en deux fois cinq ou
six semaines, comme simple habitant, mais avec un éclat qui ne
dégénérait point de l'ancienne splendeur de sa maison. Au premier
voyage qu'il y fit depuis mon établissement à Montmorency, monsieur
et madame la maréchale envoyèrent un valet de chambre me faire
compliment de leur part, et m'inviter à souper chez eux toutes les
fois que cela me ferait plaisir. A chaque fois qu'ils revinrent,
ils ne manquèrent point de réitérer le même compliment et la même
invitation. Cela me rappelait madame de Beuzenval m'envoyant dîner
à l'office. Les temps étaient changés, mais j'étais demeuré le
même. Je ne voulais point qu'on m'envoyât dîner à l'office, et je
me souciais peu de la table des grands. J'aurais mieux aimé qu'ils
me laissassent pour ce que j'étais, sans me fêter et sans m'avilir.
Je répondis honnêtement et respectueusement aux politesses de
monsieur et de madame de Luxembourg, mais je n'acceptai point leurs
offres; et, tant mes incommodités que mon humeur timide et mon
embarras à parler, me faisant frémir à la seule idée de me
présenter dans une assemblée des gens de la cour, je n'allai pas
même au château faire une visite de remerciement, quoique je
comprisse assez que c'était ce qu'on cherchait, et que tout cet
empressement était plutôt une affaire de curiosité que de
bienveillance.
    Cependant les avances continuèrent et allèrent même en
augmentant. Madame la comtesse de Boufflers, qui était fort liée
avec madame la maréchale, étant venue à Montmorency, envoya savoir
de mes nouvelles, et me proposer de me venir voir. Je répondis
comme je devais, mais je ne démarrai point. Au voyage de Pâques de
l'année suivante 1759, le chevalier de Lorenzy, qui était de la
cour de M. le prince de Conti et de la société de

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