Les Conjurés De Pierre
assez court vêtu, apparut dans l’escalier.
Il lut à haute voix le nom des invités, déclenchant pour les uns les hués et pour les autres les applaudissements.
Puis, conformément à l’ordre d’appel, les convives formèrent une procession qui s’ébranla au rythme des tambours et des vents d’un orchestre.
— Comment te sens-tu ? chuchota Afra à l’oreille d’Ulrich.
— Comme le roi Sigismond lors de son couronnement !
— Ulrich, tu es idiot.
— Je me demande bien qui est le plus idiot ici, susurra Ulrich en levant les yeux au ciel.
— Bon, maintenant faisons un effort. On ne dîne pas tous les soirs chez l’évêque.
Dans la salle de réception éclairée par une multitude de chandeliers, une magnifique table avait été dressée en forme de fer à cheval pour accueillir la bonne centaine de convives. Tous s’avançaient pour prendre place.
Afra s’accrocha au bras d’Ulrich et le poussa vers l’extrémité droite, espérant qu’ils passeraient inaperçus en s’asseyant là.
C’était sans compter avec le maître de cérémonie. Quand il comprit l’intention d’Afra, il s’avança vers eux, et les conduisit vers la partie centrale de la table où il leur indiqua deux places séparées par une chaise.
Afra, le visage cramoisi, regarda Ulrich avec un air implorant.
— Tu es trop loin. Je ne sais pas ce que je dois faire, lui dit-elle par-dessus la chaise.
Avec un signe bref et précis de la tête, Ulrich lui désigna son voisin de droite à qui elle était censée faire la conversation. L’homme barbu, qui n’était plus de la première jeunesse, la salua poliment en la regardant à travers les verres épais de son pince-nez qui masquaient ses yeux.
— Domenico da Costa, astrologue de son éminence, dit-il d’une voix grave avec un accent italien bien marqué.
— Je suis l’épouse de l’architecte, répondit Afra en désignant de la main Ulrich.
— Je sais.
— Pardon ? s’étonna Afra en fronçant les sourcils. Vous me connaissez ?
L’astrologue lissa sa barbe entre le pouce et l’index.
— Pas vraiment mon enfant, nous ne nous sommes effectivement jamais rencontrés, mais les étoiles m’ont annoncé qu’aujourd’hui…
L’astrologue n’eut pas le temps d’en dire plus car, au fond de la salle, un chœur de castrats venait d’entonner un chant qui couvrait ses paroles : Ecce sacerdos magnus [9] …
Au son de ces divines voix, deux écuyers ouvrirent les battants d’une porte faisant face à la table et l’on assista à une apparition surnaturelle : l’évêque Wilhelm von Diest faisait son entrée en compagnie de sa concubine sicilienne.
L’évêque portait une pluviale lamée de fils d’or sous un surplis fermé au cou par une magnifique fibule. À chacun de ses pas, on apercevait ses bas rouges qui contrastaient avec le blanc immaculé du surplis.
S’il n’avait pas été coiffé d’une mitre, on l’eut pris pour un gladiateur romain.
Son é minence était réputée pour ses mises en scène grotesques. Son faux nez en pâte à papier souleva une rumeur d’indignation parmi les abbés, les moines et surtout chez les dignes membres du chapitre.
L’excroissance ressemblait à s’y méprendre au vit turgescent d’un homme en proie aux idées les moins chastes. Quant à sa concubine sicilienne, elle paraissait plutôt inoffensive avec ses yeux sombres et sa robe surprenante, qui dévoilait agréablement les formes de son corps plus qu’elle ne les cachait.
La salle retint son souffle lorsque l’évêque prit place entre Afra et l’architecte. Afra ne comprenait pas vraiment à quoi elle devait cet honneur… Elle observa les laquais apportant les chapons. Après que l’évêque eut béni et encensé les oiseaux fumants avec un turiferium, il clama d’une voix tonnante :
— Voici le jour que Dieu fit. Réjouissons-nous et exultons de joie !
Le coup d’envoi du grand festin était donné. Les convives déchiquetaient avec leurs doigts la volaille croustillante, mastiquaient bruyamment, poussaient des grognements de plaisir, et – politesse oblige – rotaient allègrement.
Afra était trop tendue pour apprécier le chapon, au demeurant succulent. L’évêque avait déjà englouti le premier volatile sans avoir échangé le moindre mot avec elle. Qu’est-ce que cela signifiait ? Elle se sentait vraiment mal à l’aise.
Tandis que Wilhelm von Diest s’attaquait au deuxième oiseau, elle jeta
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