Les Conjurés De Pierre
danger quand une pique de bois lui rasa les oreilles et alla se ficher dans l’herbe grasse.
Heureusement, cette armée de vieux mendiants était lente, beaucoup moins vive qu’elle.
Disparaissant dans la forêt de grands chênes et de pins, elle continua de courir alors qu’ils ne pouvaient plus la suivre des yeux. Leurs cris s’évanouirent progressivement avant de se taire complètement.
Alors, Afra se laissa tomber à bout de forces au pied d’un arbre, sentit ses nerfs lâcher et ses yeux se remplir de larmes. Elle n’en pouvait plus.
Elle avait perdu tout sens de l’orientation. Peu lui importait, du reste, l’endroit où ses pas la mèneraient. Après cette brève halte, elle repartit sur le chemin qu’elle avait pris au hasard, dans la panique.
À quoi cela aurait-il servi de se lancer à la recherche des deux valets ? C’eut été beaucoup trop dangereux. D’un côté, elle risquait de se jeter dans les bras des marauds, de l’autre, elle n’avait pas particulièrement envie de poursuivre sa route en leur compagnie.
Après une demi-journée de marche, qui épuisa ses dernières forces, l’immense forêt s’éclaircit et s’ouvrit sur une vaste plaine où coulait un grand fleuve.
Afra ne connaissait que le pays de collines calcaires où elle avait vécu et les terres du bailli. Elle découvrait là un vaste panorama s’étendant jusqu’à l’horizon, peut-être même jusqu’au bout de la terre.
Le fond de la vallée était tapissé de champs cultivés et de prairies, plus loin, dans un coude du fleuve en crue, se dressait un ensemble de bâtiments fortifiés sur trois côtés, serrés les uns contre les autres comme les remparts d’un château fort.
Afra descendit à vive allure la colline et se dirigea droit vers les bœufs attelés à une charrette stationnée au bord d’un champ.
En approchant, elle vit une demi-douzaine de religieuses vêtues de longues robes grises travaillant la terre fraîchement labourée. L’arrivée de l’inconnue éveilla leur curiosité, deux d’entre elles vinrent à sa rencontre et la saluèrent sans dire un mot.
Afra les salua à son tour :
— Où suis-je ? leur demanda-t-elle. J’avais une troupe de marauds à mes trousses.
— Ils ne t’ont rien fait au moins ? demanda l’une d’entre elles, déjà âgée. Son visage était marqué, mais son allure était encore si fière qu’on n’imaginait guère qu’elle pût effectuer de durs travaux dans les champs.
— Je suis jeune et je cours vite, raconta Afra en cherchant à minimiser l’horreur de la situation qu’elle avait vécue. Ils étaient au moins deux cents lancés à ma poursuite.
Entre-temps, les autres religieuses, intriguées, s’étaient rapprochées et entouraient la jeune fille.
— Tu es à l’abbaye Sainte-Cécile. Tu en as déjà certainement entendu parler, dit la vieille ridée.
Afra eut la sagesse de ne pas la contredire. Ne connaissant aucune abbaye de ce nom, elle baissa les yeux, embarrassée. C’est alors qu’elle découvrit ses mains et ses bras couverts de sang, ainsi que l’état de ses vêtements déchirés par les branches de la forêt.
À sa vue, les nonnes eurent pitié. La vieille prit alors la parole :
— Le jour baisse, nous allons rentrer ! Puis se tournant vers Afra : grimpe sur la charrette. Tu dois être épuisée. Mais d’où viens-tu exactement ?
— J’étais au service du bailli Melchior von Rabenstein, répondit Afra en regardant au loin, ne sachant pas si elle devait en dire plus, puis elle ajouta : mais il a abusé de moi…
— Tu n’as pas besoin d’en dire plus, ponctua la nonne en levant la main. Le silence guérit les plaies. Toutes les religieuses se hissèrent sur la charrette et s’assirent sur les planches de bois placées en travers, puis le convoi s’ébranla. Le trajet se déroula dans un étrange silence, personne ne disait mot. Afra se sentait mal à l’aise. N’aurait-elle pas mieux fait de se taire ?
L’abbaye Sainte-Cécile était juchée sur une petite colline ; comme toutes les abbayes, elle était située dans un lieu retiré et les remparts qui l’entouraient lui donnaient l’allure d’une redoutable citadelle.
La construction en forme de trapèze s’intégrait idéalement dans le coude du fleuve. La porte d’entrée, élevée en ogive, était plus haute que large ; ses vantaux en bois renforcés de barres de fer s’ouvraient sur la façade opposée au fleuve.
La
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