Les Conjurés De Pierre
Enfin, il me reste encore ma tête avec tout ce qu’elle a emmagasiné depuis que je suis tout petit. Mais je ne parle que de moi. Allons, dites-moi ce que vous voulez !
Par où commencer ? Elle n’avait fait que se fier sans réfléchir à une intuition subite, qui lui disait que frère Dominique pourrait lui venir en aide. Elle n’avait jamais cru que ce vieux sage soit vraiment devenu fou. Ses suppositions s’avéraient justes. Il était beaucoup plus intelligent que les autres pensionnaires du couvent. Peut-être en savait-il plus que sa foi ne l’autorisait. Peut-être le considérait-on comme un hérétique parce qu’il récitait par cœur des textes d’auteurs païens et de poètes vouant un culte à d’autres divinités.
Elle admirait la sérénité avec laquelle il acceptait son destin.
— Frère Dominique, je sais que votre présence ici est injuste, bredouilla-t-elle d’abord.
Le vieux nia d’un hochement de tête.
— f emme, qui vous a dit cela ? Et quand bien même vous auriez raison, il suffit de séjourner quelques mois dans ce lieu pour ressembler aux autres. Mais vous n’avez pas encore répondu à ma question.
— Frère Dominique, reprit-elle toujours hésitante, mon père m’a laissé un écrit très ancien dont la signification reste un mystère pour moi…
— Si vous ne comprenez pas ce dont il s’agit, comment le pourrais-je moi-même !
— Mon père n’était pas l’auteur de ce document qui a été rédigé par un moine de l’abbaye du Mont-Cassin.
Subitement, l’homme se montra extrêmement attentif :
— Avez-vous ce document sur vous ?
— Non, il est en lieu sûr, et je ne peux vous en dire le contenu de mémoire. Tout me porte à croire qu’il s’agit d’un écrit interdit que beaucoup convoitent, comme le diable guigne les âmes perdues. On y fait mention d’un CONSTITUTUM CONSTANTINI. Il s’agirait d’un traité secret. Je n’en sais pas plus.
Frère Dominique devint subitement nerveux. Il regardait tantôt le plafond, tantôt le visage d’Afra. Puis il caressa sa barbe avec un air embarrassé et, après un temps de réflexion, demanda à voix basse :
— Vous m’avez bien dit CONSTITUTUM CONSTANTINI ?
— Oui, c’est ce qui est inscrit sur le parchemin.
— Et vous n’en savez pas plus ?
— C’est la seule chose dont je me souvienne. Allez, dites-moi ce que signifie CONSTITUTUM CONSTANTINI ? Vous le savez certainement.
Le vieillard secouait la tête en silence.
Afra ne pouvait croire que le vieux sage, admiré et craint pour son savoir, n’ait jamais entendu parler de ce CONSTITUTUM. À l’évidence, il cherchait à cacher quelque chose.
— Mais comment êtes-vous arrivée ici ? Quelqu’un est-il au courant de votre visite ? reprit-il subitement, comme s’il voulait détourner la conversation.
— Personne mis à part le portier. J’ai dû l’amadouer un peu. Il m’a affirmé que je ne courais aucun danger pendant la prière. Mais, frère Dominique, pourquoi ne voulez-vous pas me dire ce que vous savez ?
— Pauvre diable ! répliqua le moine, son esprit fonctionne parfaitement bien malgré son corps difforme. C’est le seul ici avec lequel je puisse parler.
— Frère Dominique, dites-moi ! répéta Afra d’une voix suppliante.
Ils entendirent la crécelle de bois signalant l’arrivée du portier à l’autre bout de la salle.
— Si je peux me permettre de vous donner un conseil, s’empressa de dire le vieux, prenez le parchemin et jetez-le au feu. Et ne dites à personne que vous l’avez eu en votre possession.
— Pensez-vous qu’il ait une grande valeur ?
— Une grande valeur ? Le moine partit d’un rire moqueur. Le pape de Rome vous couvrirait d’or et de pierres précieuses comme une reine. Il vous offrirait des terres si vous lui cédiez ce document. Je crains juste que vous n’en ayez jamais l’occasion.
— Et pourquoi, frère Dominique ?
— Parce que d’autres…
— f emme, il est temps ! les interrompit brusquement le portier. None se termine. Allons-y !
Afra aurait volontiers égorgé le bossu. Il avait fallu qu’il arrive juste au moment où la langue du moine se déliait.
— Puis-je revenir vous voir ? demanda Afra au vieil homme en le quittant.
— Cela ne vous servirait à rien, lui répondit-il sur un ton ferme. Je vous en ai déjà trop dit. Je n’ai qu’un conseil à vous donner : gardez-vous bien d’utiliser ce
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